Et si c’était mieux avant?

Et si c’était mieux avant?

Fantasme ou réalité : le débat sur le déclin des économies occidentales vient se nourrir de nouveaux chiffres sur le niveau de vie des millenials américains. 

Laudator temporis acti. C’est ainsi que le poète latin Horace désignait un certain type d’individu prompt à déplorer la misère de leur temps au regard d’un supposé âge d’or. Une façon de dire que déplorer l’état de l’époque, c’est une attitude qui existe depuis (au moins) l’Empire romain. 

Une attitude qui revient aujourd’hui en force. En recourant au concept de société liquide, Zygmunt Bauman s’est fait l’observateur des transformations induites par la postmodernité sur les individus et les sociétés. Dans Retrotopia, ouvrage posthume publié ces jours-ci en français, il parle pour caractériser l’époque d’un « âge de la nostalgie », dont témoigne « l’épidémie » de discours tournés vers un passé glorifié. « Le futur, qui était le milieu naturel des espoirs et des attentes légitimes, est devenu le réceptacle même de tous les cauchemars » résume le sociologue disparu en 2017. 

La peur du déclassement au plus haut 

Les enquêtes d’opinion rendent régulièrement compte d’un sentiment de peur face à l’avenir particulièrement prégnant chez les Européens. Un mot résume toutes ces peurs : celui de déclassement. 60 % des Français ont peur de vivre un jour dans la rue, alors que 0,16 % d’entre eux y vivent effectivement. Les Français sont généralement perçus comme les champions du monde du pessimisme, et on s’est étonné il y a quelques années d’un sondage les plaçant même au-dessus des Irakiens. 

Toute la question est de savoir si, aujourd’hui comme hier, cette disposition d’esprit est en lien avec une quelconque réalité factuelle ou si elle tient à des mécanisme purement psychologiques. Dans ses travaux récents (ici résumés au format TedX), le psychologue américain Steven Pinker a tenté de démontrer, chiffres à l’appui, que l’actualité spectaculairement tragique et le poids des idéologies qui se nourrissent de la déploration du changement ont tendance à recouvrir la réalité statistique d’un monde où la paix, la sécurité, la connaissance et la bonne santé n’ont jamais été aussi répandus. 

Des millenials plus pauvres que les générations précédentes

Pour tenter d’y voir plus clair, il est bon de se pencher sur le cas des millenials américains. C’est ce qu’a fait la journaliste Janet Adamy dans une enquête du Wall Street Journal. Et ses conclusions sont sans appel : la génération qui s’apprête à « fêter » ses 40 ans est la moins prospère depuis la Grande Dépression des années 30. 

En dépit d’un taux d’éducation plus élevé que jamais, cette génération connait un profond déclassement matériel par rapport à ses devancières. Ainsi, « les ménages de millennials avaient un patrimoine net moyen d’environ 92 000 dollars en 2016, soit près de 40% de moins que les ménages de la génération X en 2001, corrigée de l’inflation, et environ 20% de moins que les baby-boomers en 1989. » Côté salaire, ce n’est pas beaucoup mieux. La cause de cette baisse de niveau de vie : des débuts dans le monde du travail en pleine crise économique qui ont fait prendre à cette génération un retard dans l’accumulation des richesses qu’elle pourrait bien ne jamais rattraper.   

Mais dans le cadre du débat qui nous occupe, ces chiffres peuvent être relativisés. Car les nouvelles générations semblent développer un rapport distancié aux valeurs matérialistes. Comme l’ont montré en Europe les résultats des dernières élections, l’essor chez les jeunes des mouvements environnementalistes, au coude à coude avec les idéologies identitaires, montre qu’ils aspirent à d’autres choix de civilisation.

Qu’ils pensent ainsi par croyance ou par une forme de contrainte intériorisée importe peu : on pourrait bien se retrouver d’ici quelques années avec une part non négligeable de la population qui considère que ce n’était pas forcément mieux avant, du temps où les humains s’appuyaient sur la mesure de la richesse brute pour juger de l’état de leur société. 

Eric Fougerolles est un journaliste spécialisé dans le domaine de l’économie et de l’Europe. Diplômé de Sciences Po et en Droit communautaire, il travaille depuis une quinzaine d’années pour divers médias européens. Il est rédacteur pour Confluences.

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