L’autoritarisme, le chaos, la guerre, un capitalisme devenu fou… Les mots sont forts. Le ton ferme, parfois lyrique. Dans le discours prononcé à Genève le 11 juin dernier pour les 100 ans de l’Organisation Internationale du Travail, Emmanuel Macron s’est livré à un vibrant plaidoyer en faveur de l’économie sociale de marché. Mais les commentateurs ont surtout retenu l’inquiétude du Président français devant l’état du monde.
Les effets persistants de la crise de 2008. Le Brexit. L’isolationnisme américain. L’impérialisme russe. Les tensions commerciales avec la Chine. La montée en puissance, en Europe et partout dans le monde, de formations et de régimes adeptes de solutions autoritaires. Le sentiment de délitement du système international. La peur d’un monde qui se ferme. C’est tout cela qu’avait en tête le chef de l’Etat en succédant à Angela Merkel à la tribune de l’OIT.
Présidents lanceurs d’alerte
Si son discours a pu surprendre par sa virulence, il s’inscrit dans une tradition éminemment française : celle des Présidents lanceurs d’alerte. Ces chefs de l’Etat qui se servent des enceintes internationales pour délivrer des messages forts et souvent alarmistes. On se souvient de François Mitterrand au Parlement européen déclarant que « le nationalisme, c’est la guerre ». Jacques Chirac au sommet de la Terre déplorant que « notre maison brûle ». Ou encore Nicolas Sarkozy, en 2008, qui dénonçait les dérives du capitalisme dans les mêmes termes que l’actuel locataire de l’Elysée.
Mais ce n’est pas qu’un effet de tribune. Cette posture correspond à la volonté de défendre une « troisième voie à la française » dont la tradition remonte au moins à Charles de Gaulle, quand il dessinait dans son discours de Phnom Penh une alternative aux blocs américain et soviétique. Aujourd’hui, la voie défendue par la France s’appelle le multilatéralisme. A l’heure où le monde ne semble avoir le choix qu’entre nationalisme et capitalisme débridé, les deux allant souvent de pair, Emmanuel Macron s’est posé en défenseur des institutions internationales de régulation économique. Dans son discours, il a même appelé à une plus grande coordination entre les différentes instances afin d’éviter que le FMI n’appelle à détricoter des normes promues par l’OIT.
Les risques du double discours
Cependant, ce discours pose quelques questions. Les prises de position de la France pèsent-elles encore dans le concert des nations ? Que valent, en 2019, les philippiques d’un Président français contre le capitalisme ? Certes, la France reste une grande puissance économique, dotée d’un siège permanent à l’ONU. Le souvenir de son Histoire rebelle continue de briller chez ceux qui défendent des idéaux de partage et d’émancipation. Mais c’est peu dire que sa voix pèse moins qu’il y a cent ans.
Ensuite, on peut se demander comment est reçu un discours fortement critique à l’égard du capitalisme actuel, dans le monde du 21e siècle. Dans de nombreux pays, le « capitalisme » est vu comme le système qui a fait sortir de la pauvreté des centaines de millions d’individus en quelques dizaines d’années. Ce système devenu fou, c’est aussi celui qui a permis une amélioration des conditions de vie sans pareille. Le risque pour Emmanuel Macron est d’être perçu comme un adepte des postures à contre-temps, le président d’un pays qui, sous couvert de dénoncer tous les dumpings, cherche à préserver ses avantages acquis dans la compétition internationale.
Enfin se pose la question de la cohérence entre les paroles prononcées dans des enceintes internationales et la politique menée dans son propre pays. Les ennemis d’Emmanuel Macron ont beau jeu de dénoncer un président ultralibéral qui organise la casse sociale tout en prononçant de belles paroles devant ses homologues. Nouvelle illustration du « en même temps » macronien qui prend ici des allures de double discours. On peut aussi voir les choses différemment et considérer que ces prises de parole sont surtout une occasion de faire passer des messages à destination des Français. Une analyse à laquelle souscrit le journal Le Monde qui voit dans le discours de Genève le début d’un acte II plus social du quinquennat Macron. Comme si le Président espérait que les mots vibrants prononcés à Genève auront un effet sur l’électeur de Romorantin. Mais là encore, qu’en est-il vraiment ?