Affaire Rugy : les leçons d’une démission

Affaire Rugy : les leçons d’une démission

Lundi encore, il jurait qu’il tiendrait bon. Malgré les tensions au sein de la majorité, le Président de la République l’assurait de son soutien. Mais la pression a été trop forte : François de Rugy a annoncé hier qu’il renonçait à son poste de ministre de la transition écologique.

Les informations égrainées par le journal Mediapart depuis une semaine auront eu raison de sa ténacité. D’abord, la publication de photos des dîners de l’Assemblée nationale, avec homards et grands crus, puis les travaux de rénovation de son appartement de fonction au ministère, le fait qu’il aurait bénéficié d’un logement social et, hier, de nouvelles révélations sur l’utilisation de son indemnité de député pour payer ses frais de cotisation à son ancien parti.

Selon ses orientations politiques, on verra dans cette démission une nouvelle « affaire » qui collera longtemps aux basques du pouvoir, ou une succession de faits plus ou moins anodins, désamorcée assez tôt pour ne pas pourrir l’été du chef de l’Etat comme ce fut le cas il y a un an avec l’affaire Benalla. Quoi qu’il en soit, ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire  Rugy» illustre le climat d’extrême fragilité dans lequel évoluent désormais les membres du gouvernement.

Défiance record

Le climat, si on peut dire, ne jouait pas en sa faveur. L’élection d’Emmanuel Macron s’est jouée sur fond d’affaire Fillon et de dénonciation du mélange des genres entre vie publique et vie privée. Le mouvement des gilets jaunes s’est cristallisé sur la détestation des « élites parisiennes » déconnectées du « peuple ». Sans compter les imprécations que François de Rugy lui-même a pu tenir sur le sujet et le ministère dont il avait la charge, associé dans l’imaginaire populaire à la nécessité pour les Français de se serrer la ceinture.

Cet épisode est venu relancer l’éternel débat sur le train de vie de l’Etat et l’utilisation des fonds publics à des fins privées. Preuve de l’extrême sensibilité du sujet : il avait fait l’objet d’une des premières lois du quinquennat, celle sur la moralisation de la vie publique. Les défenseurs du ministre avaient beau jeu de soutenir, avant les dernières révélations, qu’il n’avait commis aucun acte répréhensible, rien n’y a fait.

L’émoi provoqué par les photos des homards servis à l’Assemblée n’avait pas grand chose à voir avec la légalité, tout avec la dénonciation des privilèges. Les fastueux crustacés sont devenus un symbole du vieux monde. Tout affichage de pratiques jugées luxueuses passe désormais pour de l’inconséquence politique. C’est sans doute cela le principal enseignement de l’affaire Rugy : la confirmation que désormais, rien ne sera pardonné à des politiques dont la cote de désamour a rarement été aussi élevée.

Mediapart, tombeur en série

Au palmarès des professions les moins aimées, les médias n’arrivent pas loin derrière les politiques. Et pourtant, c’est l’un d’entre eux qui a obtenu le départ du ministre. Après Cahuzac, Edwy Plenel accroche un nouveau scalp à sa collection de ministres déchus, ravissant les contempteurs des dérives du pouvoir, ulcérant ceux qu’insupporte son côté chevalier blanc.

Avec cette nouvelle affaire, le journal en ligne se voit une fois encore décrié pour ses méthodes (feuilletonnage des « révélations ») et son côté politique (notoirement anti-macronien comme il fut notoirement anti-sarkozyste). Par son impact sur la vie publique, Mediapart est devenu presque à lui seul l’incarnation du quatrième pouvoir en France. La question du quasi-monopole qu’il exerce sur l’enquête politique ne manquera pas d’être posée.

Incarner l’écologie au gouvernement, un poste périlleux

C’était le ministère censé s’attaquer à la grande question des prochaines décennies. La question qui figure désormais au coeur de toutes les réformes, au point que le mouvement des gilets jaunes est parti d’une volonté de taxer le carburant à des fins de lutte contre le changement climatique. Autre signe de son importance : la démission de M. de Rugy est survenue alors qu’il devait présenter l’après-midi même au Sénat le projet de loi énergie et climat.

Et pourtant, du ministère de la transition écologique, ce qu’on retient pour l’instant c’est surtout le côté transition. Après la spectaculaire démission de Nicolas Hulot, M. de Rugy aura tenu moins d’un an à ce poste considéré comme capital.

C’est Elisabeth Borne qui a été nommée hier en remplacement du démissionnaire. La nouvelle ministre possède, comme on dit, un profil plus « technique ». Preuve de son moindre poids politique, elle n’aura pas le rang symbolique de numéro 2 du gouvernement qui était attaché à ses prédécesseurs. Ceux qui pensent que tout se joue à l’Elysée et que ce gouvernement n’a aucune ambition écologique véritable trouveront ce remplacement anodin. Ceux qui croient dans le volontarisme de l’incarnation y verront un accroc à l’ambition écologique de la deuxième moitié du quinquennat. Le débat ne manquera pas de se poursuivre dans les prochaines heures.

Eric Fougerolles est un journaliste spécialisé dans le domaine de l’économie et de l’Europe. Diplômé de Sciences Po et en Droit communautaire, il travaille depuis une quinzaine d’années pour divers médias européens. Il est rédacteur pour Confluences.

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