Les nominations de Christine Lagarde et Ursula von der Leyen aux postes clés de l’Union européenne ont été accueillies avec enthousiasme, notamment par les marchés. Mais les polémiques n’ont pas tardé à éclore.
C’est un « moment historique », comme l’a remarqué Marlène Schiappa mercredi 3 juillet. « C’est la première fois qu’il y a deux femmes à ces top jobs au niveau européen », s’est réjouie la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Pour la première fois, deux femmes ont été nommées aux postes de pouvoir majeur de l’Union européenne. L’Allemande Ursula von der Leyen, actuelle ministre de la Défense, devrait remplacer le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission. La Française Christine Lagarde occupera quant à elle la présidence de la Banque centrale européenne (BCE) à la place de l’Italien Mario Draghi.
Mais si ces nominations satisfont l’exigence du président français Emmanuel Macron, qui souhaitait la désignation de deux femmes, d’une Française, et d’un équilibre géographique, elles n’ont pas été sans soulever des polémiques au sein de l’Union européenne.
« La nomination à la tête de la BCE d’une personne condamnée par la justice est-elle compatible avec l’exigence d’exemplarité qu’on est en droit d’attendre de nos dirigeants ? », s’interrogeait un lecteur du Monde.
En 2016, la directrice générale du FMI a en effet été jugée coupable en sa qualité de ministre de l’Économie et des finances (2007-2019, sous Nicolas Sarkozy) par la Cour de justice de la République (CJR), saisie à la suite d’une requête de députés socialistes. Mme Lagarde a été déclarée coupable de « négligences » dans l’arbitrage de l’affaire « Tapie », mais la Cour a décidé de la dispenser de peine et n’a pas estimé nécessaire d’inscrire cette condamnation à son casier judiciaire.
Reste que les critiques à l’égard de Mme Lagarde, qui n’est pas économiste et manque d’expérience dans une banque centrale ou une banque privée, n’étaient pas seulement d’ordre déontologique.
Mini-crise au sein de l’Union européenne ?
La nomination de Mme Lagarde « soulève pas mal d’objections dans les milieux financiers, où le dogme de la nécessité d’un banquier central, ou à tout le moins un·e économiste à ce poste éminent s’est peu à peu imposé. Mme Lagarde n’est ni l’une ni l’autre, certes. Et sa nomination est clairement politique », analyse Cécile Ducourtieux dans Le Monde.
Mais il pourrait précisément s’agir de son principal atout. En effet, Christine Lagarde a su se bâtir une réputation de « colombe » au sein du FMI, un qualificatif que l’on attribue à ceux qui mènent des politiques monétaires généreuses. Devenue directrice générale de l’institution financière en pleine crise de la zone euro, Christine Lagarde a appelé les États, en particulier les « économies avancées » à « ne pas tuer la croissance en luttant de manière excessive contre la dette ». Selon la dirigeante, il ne fallait pas laisser « le coup de frein budgétaire bloquer la reprise mondiale », le rééquilibrage budgétaire devant « résoudre une équation délicate en n’étant ni trop rapide ni trop lent ».
La reconnaissance du yuan chinois comme monnaie de référence et le lancement d’une réforme du FMI visant à donner plus de poids aux pays émergents sont les deux grands succès politiques de cette femme, également connue pour sa capacité à gérer les crises de façon efficace.
Alors que, selon les dernières déclarations de Mario Draghi, la BCE pourrait procéder à de « nouvelles réductions des taux directeurs et des mesures d’atténuation visant à en limiter les effets secondaires », les pays européens sont susceptibles de s’affronter au sujet d’une éventuelle reprise du quantitative easing. « On risque d’assister à un schisme au sein de la zone euro. Heureusement, Christine Lagarde est la bonne personne pour cela en raison de ses qualités de diplomatie », analyse Bruno Colmant, directeur de la recherche macroéconomique.
Pas prophète en son pays
Tout aussi polémique s’est révélée la nomination de la ministre allemande de la Défense à la tête de la Commission européenne. « L’Europe doit être à la fois capable d’agir et déterminée. Compte tenu des défis globaux, terrorisme, pauvreté, changement climatique, l’Europe doit accélérer. Ceux qui veulent doivent pouvoir avancer sans être bloqués par certains », avait déclaré l’euro-enthousiaste Ursula von der Leyen dans son discours d’ouverture de la Conférence sur la sécurité. Favorable à l’approfondissement de l’Europe de la défense (« Je suis convaincue que l’armée des Européens verra bientôt le jour », avait-elle osé), cette fidèle d’Angela Merkel a fréquemment été en porte-à-faux avec son parti. Membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), elle est souvent plus proche de la gauche que de sa propre famille politique, en particulier sur les sujets de société.
Mais la véritable polémique vient du fait qu’elle est sous le coup d’une enquête parlementaire en Allemagne. En 2018, un rapport de la Cour fédérale des comptes l’épingle pour l’attribution de 375 contrats à des consultants externes pour un projet informatique entre 2015 et 2016. Un recours jugé abusif et qui représente 250 millions d’euros de dépenses pour le ministère de la Défense, selon les informations de la DW.
Résultat : Ursula von der Leyen est aujourd’hui la ministre la plus impopulaire du gouvernement Merkel. Mais il s’agit d’« une femme de caractère, qui a une longue expérience des affaires internationales », comme le rappelle Jean-Dominique Giuliani, président de la fondation Robert-Schuman. D’ailleurs, son impopularité parmi les Allemands ne devrait pas nécessairement être un handicap, les commissaires européens étant, selon M. Giuliani, « tenus d’agir en fonction de l’intérêt européen commun. Ils doivent s’abstenir de liens privilégiés avec ce qu’ils appellent « les pays qu’ils connaissent le mieux » ».