D’un côté les dividendes record versés aux actionnaires. De l’autre, la décision des plus grands patrons américains de mettre davantage en avant l’intérêt général. Le télescopage de ces deux actualités illustre un certain état du capitalisme dans les démocraties occidentales.
Belle moisson pour les détenteurs d’actions. Entre avril et juin, les 1200 plus grandes entreprises cotées mondiales ont versé quelque 513,8 milliards de dollars (463 milliards d’euros) de dividendes à leurs actionnaires. 2019 devrait être une année record avec 1430 milliards de dollars distribués. En Europe, la tendance est plutôt à la baisse, les dividendes ayant chuté de 5,3 % sur ce trimestre. La France dénote avec une hausse de 3% qui fait d’elle le plus grand payeur de dividendes sur le vieux continent. Une situation qui s’explique par une plus grosse capitalisation des fleurons de son économie par rapport aux pays voisins.
En vertu de la désormais célèbre théorie du ruissellement, plus de richesse pour les plus plus riches, ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelles pour les moins bien lotis, qui bénéficient de cette injection de ressources dans l’économie. Pas sûr que cette théorie, quand bien même elle se vérifierait dans les faits, suffise à satisfaire les salariés qui voient leur rémunération augmenter de peu, voire pas du tout. C’est l’un des leitmotivs des organisations altermondialistes présentes à Biarritz en marge du G7. Un membre d’ATTAC résume parfaitement un sentiment de plus en plus répandu, pointant le caractère systémique du problème : « les pays du G7 mettent en place des politiques qui favorisent le versement de dividendes, notamment au détriment des salaires. »
Jusqu’où les salariés tolèreront-ils une telle situation ? Question vieille comme le capitalisme. L’encouragement à l’actionnariat salarié a longtemps constitué une réponse. Une autre a été le basculement, pour une bonne partie du 20e siècle, de la moitié de la planète sous l’emprise d’une idéologie anticapitaliste.
Des patrons qui ne jurent plus uniquement par le profit
C’est là qu’un petit détour par l’Amérique, patrie du capitalisme débridé, peut s’avérer utile. Elizabeth Warren n’a rien d’une disciple de Lénine. Mais cette candidate à la primaire démocrate est en train de s’attirer une belle popularité en dénonçant les inégalités abyssales entre les gros actionnaires et la majorité des citoyens. En 2016, une étude de l’université de Harvard montrait que 51% des Américains âgés de 18 à 29 ans ne soutenaient pas le capitalisme.
C’est sans doute ce constat, entre autres indices d’une désaffection croissante (Occupy Wall Street, l’audience d’un Bernie Sanders…) qui explique la décision de la Business Round Table, lobby rassemblant 188 grands patrons américains, de modifier récemment la « raison d’être » d’une entreprise selon leurs voeux. En plus des objectifs de performance liés à l’entreprise figurent désormais la réussite du pays et de ses communautés. Les salariés, les fournisseurs, les clients et l’environnement sont mis à égalité avec les actionnaires. Signe des temps : la version adoptée en 1997, en plein triomphe de l’idéologie libérale et de la mondialisation heureuse, ne parlait que de profit.
Evidemment, rien de contraignant dans cette déclaration de principes, notamment sur les salaires des patrons, qui figurent aujourd’hui dans le viseur de l’aile gauche démocrate. De fait, souligne Le Monde, « la rémunération moyenne des patrons des 350 plus grandes entreprises (ajustée de l’inflation) a été multipliée par dix en quarante ans pour atteindre 17,2 millions de dollars. » Mais il est désormais acquis aux yeux de nombreux observateur qu’en cas de retour des démocrates à la Maison Blanche, la question d’une régulation sera mise à l’agenda du législateur.