Commerce numérique : la majorité ira-t-elle jusqu’au bout ?

Commerce numérique : la majorité ira-t-elle jusqu’au bout ?


Par Christophe Nourissier

Face aux difficultés posées par le modèle économique des GAFAM, les pouvoirs publics entendent agir. Seulement, le gouvernement et sa majorité sauront-ils aller jusqu’au bout du combat de l’équité fiscale ?

Aux États-Unis comme en Europe, la grogne monte, à raison, contre les géants du numérique. Profitant de règles obsolètes, inadaptées aux nouvelles pratiques induites par le tout digital, qui donnent une illusion d’une activité « hors-sol », les GAFAM passent depuis longtemps entre les mailles des filets de l’imposition. Une pratique qui pose en premier lieu des questions d’équité fiscale, quand on sait que les entreprises plus traditionnelles, paient pour leur part plein pot. Dans une récente tribune collective, plusieurs représentants du commerce en France attribuaient le « déclin » du « commerce local » à l’absence de mesures pour mettre un terme à l’évasion fiscale des entreprises du numérique.

Afin de monter l’exemple, une taxe Gafam ad hoc a été créée en France. Elle devrait rapporter 400 millions d’euros dès la fin de l’année 2019 – une somme symbolique, bien en deçà de ce qu’une taxation loyale des GAFAM rapporterait. En septembre dernier, une étude réalisée par l’ex-secrétaire d’Etat en charge du numérique, Mounir Mahjoubi pour le compte de l’Assemblée nationale, révèle que les GAFAM devraient payer près de neuf fois plus d’impôts au fisc français qu’elles ne le font aujourd’hui.

« Si l’esprit de nos règles fiscales était appliqué, leur impôt sur les sociétés s’élèverait à 1,1 milliard d’euros », explique le député de La République en marche. Plus spécifiquement, Google Alphabet, qui aurait dû verser 230 millions d’euros au fisc français au titre de l’impôt sur les sociétés pour l’année 2018, n’en a versé que 17. De même, Facebook s’est offert une ristourne de 100 millions d’euros. Mais la palme revient à Microsoft, qui n’a payé que 41 millions au lieu de 352. Des écarts qui montrent que la taxe française n’est guère plus qu’un pansement sur une jambe de bois.

Le PLF 2020 au cœur des combats

Du côté d’Amazon, les manœuvres de dilution fiscale sont aujourd’hui largement dénoncées du fait du manque à gagner sociétal prodigieux qu’elles produisent. En plus de l’optimisation de son activité, la plus riche entreprise du monde échappe à plusieurs impôts comme la TVA ou encore la TASCOM (taxe sur les surfaces commerciales), qui vise les commerces français de 400 m2, au motif que cette dernière ne concerne que les espaces où le consommateur se rend physiquement.

Aussi, nombreux sont ceux qui estiment que la seule solution au problème serait une réorganisation profonde des principes mêmes de nos systèmes fiscaux. Une mission que pourrait bien remplir le Projet de Loi de Finances 2020 (PLF), qui entame actuellement sa procédure parlementaire. A titre d’exemple, l’amendement CF976, porté par le majorité, veut élargir la TASCOM aux « établissements de stockage et de logistique servant à la vente de biens à distance, fermés au public ». Dans le même temps, des élus socialistes ont lancé un amendement similaire, et trois autres amendements (MoDem, LR et UDI) cherchant à obtenir le même effet, en visant plus spécifiquement les GAFAM.

« Pour ces élus, il en va de l’équité fiscale d’autant que le tri, l’emballage des produits, la gestion des retours, et le modèle du ‘dernier kilomètre’ (être au plus près des consommateurs pour une livraison toujours plus rapide) nécessitant des centres de stockage et de triage locaux à proximité des grandes villes, sont fortement consommateurs de foncier » souligne ainsi Marc Rees, journaliste spécialiste des questions numériques, rédacteur en chef de Next INpact.

Les initiatives se multiplient sur l’échiquier politique : certaines reviennent indirectement à instituer une taxe sur les livraisons de biens, ce qui montre qu’on arrive à la fin d’un tabou. Si la taxation était élargie aux locaux de stockage, elle serait toutefois déduite du métrage des points de vente physique visés par la TASCOM afin de ne pas faire payer doublement les établissements disposant également d’une grande capacité d’entrepôt de marchandises. Il n’y a guère que le rapporteur général Joël Giraud qui, étonnamment, s’oppose à ces initiatives, au profit d’un débat en séance publique sur ce sujet.

Taxer le numérique : sujet brûlant d’actualité

D’autres pays ont annoncé leur intention de suivre l’exemple français. Le Canada a ainsi annoncé vouloir taxer les géants du numérique. « Nous agirons pour mettre en œuvre les recommandations de l’OCDE afin que les firmes numériques internationales, dont les produits sont consommés au Canada, paient les mêmes taxes que les sociétés numériques canadiennes » explique le programme du Premier ministre Justin Trudeau, actuellement en campagne pour sa réélection.

De même, Margrethe Vestager, l’ancienne commissaire à la Concurrence dans la commission Juncker, qui devrait aussi hériter du portefeuille du Numérique, n’a pas fait de secret sur son intention de lutter contre les pratiques anti-concurrentielles des GAFAM et d’augmenter la transparence fiscale au sein de l’UE afin d’enrayer l’optimisation qu’elle estime « inéquitable ». Par ailleurs, la justice européenne devrait prochainement confirmer l’amande de 13 milliards d’euros qu’Apple s’est vu contraint de verser à l’Irlande pour les « cadeaux fiscaux » de Dublin.

L’Italie et le Royaume-Uni sont également en train d’élaborer des textes nationaux dans le sillage de Paris. Toutes ces mesures sont temporaires par nature, et ne viennent qu’en substitution aux mesures à venir de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui travaille sur une taxation mondiale des GAFAM. Ce texte « garantirait que les entreprises multinationales qui exercent d’importantes activités dans des juridictions où elles n’ont pas de présence physique seraient imposées dans ces juridictions » assure son Secrétaire général, Angel Gurría.

D’aucuns regrettent que ces travaux avancent très lentement. Mais sous l’impulsion des mesures nationales, les débats devraient accélérer. Et quand bien même ils s’éterniseraient, le nombre de mesures temporaires nationales ou régionales – ainsi que la pression – ne cesseront d’augmenter. « Si aucun accord effectif ne peut être conclu d’ici la fin de 2020, l’Union européenne devrait être disposée à agir seule » a ainsi mis en garde Margrethe Vestager. Autant de coups de semonce qui semblent annoncer la fin de l’impunité des GAFAM ?

 

Crédit photo: cactusbeetroot

Christophe Nourissier est un analyste politique, conseiller en stratégie et président de l’association la France et le Monde. Il a pris part à des campagnes (présidentielles, législatives, referendums…) et a été la plume de plusieurs personnalités en Europe et en Afrique francophone avant de devenir un commentateur politique. A ce titre, il a contribué à plusieurs médias en ligne et écrit régulièrement sur l'actualité internationale

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