Dans son discours sur l’origine des inégalités parmi les Hommes, Rousseau accuse la propriété privée d’avoir libéré les funestes incitations à travailler au-delà de ce que requiert l’état de nature. Sans la propriété qui garantit à chacun le droit de jouir des fruits de son industrie, personne n’aurait eu l’idée folle de quitter le doux cocon de l’oisiveté heureuse et primitive.
Au moins l’anti-propriétarisme de Rousseau avait-il l’honnêteté de dévoiler son véritable agenda : nous ramener à l’âge des cavernes et des chasseurs-cueilleurs. Contrairement à Piketty et ses soutiens, Rousseau avait intégré les enseignements de l’économie politique de son temps : la spoliation est la meilleure manière de décourager la profusion de richesses.
Voilà en effet plus de deux siècles que la science économique s’évertue à souligner le rôle des incitations dans la naissance des actions productives. Aujourd’hui, presque tout le monde admet le rôle dissuasif de la fiscalité. Ce constat ne relève pas du monopole des libéraux. Il est aussi ratifié par les esprits les plus hostiles à la liberté des échanges.
En effet, le protectionniste désireux d’instaurer une fiscalité douanière pour ralentir les importations admet parfaitement les effets dissuasifs de la fiscalité. Il en va de même pour l’hygiéniste qui souhaite fiscaliser le tabac pour décourager le fumeur. Si l’écologiste et les Thomas Piketty souhaitent fiscaliser le CO2, c’est aussi parce qu’ils sont convaincus qu’on décourage son émission en le rendant plus coûteux.
On peut donc se demander ce que recherchent vraiment les partisans d’une fiscalité outrancière sur le travail et le capital. Veulent-ils anéantir les attitudes tournées vers l’entrepreneuriat, l’épargne et l’investissement qui permettent aux consommateurs que nous sommes tous de bénéficier des avantages d’une économie toujours plus productive ? Veulent-ils rendre toute ascension sociale encore plus difficile ? C’est peut-être ainsi qu’on identifie les extrémistes. Par leur volonté de saboter par la violence, fut-elle légale ou non, un système qui ne leur inspire que de l’aigreur.
Dans une tribune pour Confluences, l’économiste Guillaume Allègre défend son confrère Thomas Piketty en mobilisant des arguments contradictoires. Tantôt admet-il le caractère irréaliste des propositions les plus outrancières de Thomas Piketty (qui provoqueraient l’exil des capitaux). Tantôt fait-il valoir que certains pays comme les États-Unis ont appliqué des taux d’imposition confiscatoires sans altérer l’attractivité de leur économie .
Bien sûr, l’argument sur les États-Unis se garde bien de rappeler que ces taux d’imposition symboliques ne visaient presque personne; que la pression fiscale totale n’y a jamais excédé 35% du PIB pendant tout le XXe siècle; et que le taux d’imposition moyen des revenus les plus élevés (les fameux 1%) n’a jamais non plus dépassé 46% durant la même période. Il se garde bien aussi d’envisager l’hypothèse qu’on aurait – toutes choses égales par ailleurs – obtenu une croissance plus forte avec une fiscalité plus faible.
L’enseignement selon lequel une fiscalité sobre sert l’attractivité d’une économie n’a là encore rien de controversé. C’est en retenant cette leçon que de nombreux pays émergents et en voie de développement ont par exemple développé des stratégies de zones franches.
Mais ces considérations importent peu à ceux qui ont un « message » à faire passer sur le caractère indésirable des milliardaires. Bien que cette affirmation péremptoire et dictatoriale ne soit assortie d’aucune démonstration, elle en dit long sur les intentions de ses partisans.
Ces derniers balaient d’un revers de main l’enseignement fondamental de la science économique moderne : le commerce est un jeu à somme positive. Si Steve Jobs ou Bill Gates sont devenus milliardaires en démocratisant les nouvelles technologies, leurs accomplissements devraient être salués plutôt que conspués.
Sans qu’elles n’aident le combat contre la pauvreté, les outrances fiscales de Thomas Piketty ne traduisent finalement que la tentative de rationaliser des ressentiments envieux primaires contre la richesse. La haine de l’opulence supplante l’horreur de l’indigence. Les graphiques et les équations ne servent qu’à dissimuler ces ressentiments sous les oripeaux d’une science économique dévoyée. Un dernier signe permet de s’en convaincre. Il est en effet intéressant de souligner que dans le dernier ouvrage de Monsieur Piketty, le mot « inégalités » apparaît 581 quand le mot pauvreté n’apparaît que 12 fois. Chacun ses obsessions.