Numérique, IA, Open Data : la France en lutte pour sa souveraineté ?

Numérique, IA, Open Data : la France en lutte pour sa souveraineté ?

Face à des géants de l’Internet comme Google ou Amazon, qui ponctionnent toujours plus de données, les Etats doivent protéger leurs jeunes pousses et investir massivement dans les technologies de rupture.

Si la fin du siècle dernier a connu l’éclosion d’Internet et son essor incroyable, ce début de 21ème siècle est-il celui de la tempérance des géants du numérique ? De plus en plus, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) sont pointés du doigt pour les situations quasi-monopolistiques que leur appétit vorace a contribué à créer au fil des années. Rétention des connaissances et des données privées, perte de souveraineté numérique, avec toutes les conséquences qu’elle engendre, pour les particuliers aussi bien que les États : les critiques sont légion.

Parce qu’il demeure la porte d’entrée du Web, le groupe Google est sans doute celui qui met d’accord la plupart des contempteurs d’une certaine déraison numérique. La firme de Mountain View, avec son moteur de recherches aux 3,3 milliards de requêtes par jour, sa plateforme de vidéo (YouTube) qui cumule 1 milliard d’heures visionnées quotidiennement, et son système d’exploitation mobile (Android) représentant 86,7 % du marché, ressemble aujourd’hui davantage à un gigantesque stockage de la connaissance humaine qu’à une simple entreprise du Web – fût-elle multinationale.

« Bras d’honneur » à la souveraineté nationale

Aux Etats-Unis, cette situation commence d’ailleurs à agacer les entrepreneurs et les politiques, mais également la justice : Google, aux 31 milliards de dollars de résultat net en 2018 – 84 % de son chiffre d’affaires est réalisé grâce à la publicité et, par conséquent, aux données personnelles de ses utilisateurs –, s’est vu attaquer par 50 procureurs américains en septembre dernier. Motif de l’enquête « antitrust » ouverte contre la firme : une position dominante plus tenable, qui glisse doucement mais sûrement vers une situation monopolistique préjudiciable.

La procureure de l’Arkansas a par exemple expliqué que lorsqu’elle avait dû rechercher un médecin pour sa fille sur Internet, elle avait constaté que le moteur de recherches ne lui avait pas fourni le praticien le plus proche ou le plus réputé, mais celui qui avait payé le plus de publicités à Google pour apparaître dans les premiers résultats de la recherche. Voilà comment l’entreprise se rémunère – tout comme Facebook et Amazon – et parvient, petit à petit, à phagocyter toute la concurrence, ainsi qu’à engranger toujours plus de données personnelles.

La France pas plus que l’Union européenne (UE) n’échappe à l’« emprise » de l’entreprise américaine. En octobre dernier, plusieurs dizaines de journalistes européens ont tiré la sonnette d’alarme contre la volonté hégémonique de Google, qui empoche toutes les recettes publicitaires générées par les contenus de la presse en ligne sans laisser trop de choix aux médias. Or dans l’Hexagone, la presse est fortement dépendante des moteurs de recherches. Et par conséquent de Google, qui détient 93 % du marché tricolore du « search » (recherche sur Internet).

Ce bras d’honneur à la souveraineté nationale ne peut pas durer, estiment certains. Ces derniers mettent par exemple en avant le « concurrent » français de Google, Qwant, conçu par son fondateur, Eric Léandri, pour ne rien stocker des données utilisateurs. D’ailleurs, preuve que le désir d’indépendance vis-à-vis de la firme de Mountain View est fort, en Europe, la Banque européenne d’investissement avait accordé un prêt de 25 millions d’euros au moteur de recherches français en 2016 – ajoutés aux 15 millions de l’Etat français l’année d’après.

La France entre dans un moment fatidique

Malgré les nombreuses administrations publiques qui utilisent aujourd’hui Qwant – comme la mairie de Paris et ses milliers de fonctionnaires ou encore l’Assemblée nationale –, c’est peu dire que le rival de Google peine à jouer à armes égales. Le groupe américain reste seul maitre à bord concernant les collectes de données. Ce monopole a le don d’en agacer certains, comme Bruno Retailleau, le président du groupe Les Républicains au Sénat, ou encore Edouard Fillias, président de l’agence d’influence Jin, qui se sont fendus d’une tribune dans l’Opinion, il y a quelques jours, pour mettre le holà.

« Cessons de tendre aux GAFAM le bâton pour nous faire battre et armons-nous vraiment. Saisissons l’épée et le bouclier. Le bouclier d’abord, parce que nos données doivent être protégées. A commencer par les plus sensibles : celles de l’Etat, de nos administrations, de nos entreprises également. Elles doivent pouvoir être stockées en lieu sûr, hors de portée des serveurs étrangers, dans un cloud public 100 % français et européen ».

Ce véritable « scandale économique et démocratique » voit les internautes « offrant » littéralement leurs informations au géant américain. Surtout, en continuant de s’inféoder aux géants américains, la France s’enfonce dans un statut de colonie numérique alors même que le temps presse. La bataille de la souveraineté se joue en effet aujourd’hui avec le futur de nos startups françaises. Celles-ci sont menacées dans tous les domaines, même les plus régaliens comme celui de la Défense, ou une start-up clef a failli être rachetée au nez et à la barbe de la DGA, ou encore celui de la justice, qui attise tous les appétits. En témoigne l’intérêt toujours croissant des acteurs américains pour le secteur des legal techs, nouvel axe de croissance où se déploient des concentrés de technologie : IA, Big Data ou encore algorithmes poussés de recherche. Comme à l’époque de l’émergence d’Internet, la France dispose de pépites en la matière, à l’image de la plateforme Doctrine.fr qui permet, grâce à son moteur de recherche, de trouver en quelques clics des décisions de justice en open data, à partir de plusieurs jeux de données différents.

Mais cette prouesse technologique pourrait ne pas suffire : à l’image du numérique, dans les années 90, la France est en passe de manquer le virage de l’IA – et nos entreprises les plus prometteuses, d’être rachetées par des acteurs étrangers. Par résistance au changement, par corporatisme ou par manque de vision politique, les grandes entreprises, les investisseurs et l’État pourraient clore le chapitre de l’IA avant même de l’avoir ouvert. À cela s’ajoute un individualisme qui font que ces entreprises, souvent des PME manquant de moyens humains, peinent à faire jeu commun. Si des associations comme HexaTrust ont bien compris l’intérêt de chasser en meute et de défendre leurs intérêts, cette solidarité manque encore dans les milieux tels que le droit ou la défense, pourtant critiques. Entre absence de solidarité et de financements, la bataille du numérique pourrait être de facto perdue avant même d’avoir commencé. Avec les conséquences funestes que l’on imagine pour notre tissu industriel, privé d’un avantage technologique dans la guerre économique qui vient.

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