Par Khaled Igué, fondateur et président du think tank Club 2030 Afrique.
L’accès à l’éducation et l’inclusion numérique sont intimement liés sur le continent africain, qui souffre encore d’un retard criant sur les pays développés. Toutes les portes doivent être ouvertes, y compris celles du privé, pour améliorer l’accès des jeunes Africains au marché du travail.
« L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde » : sans doute nulle part mieux qu’en Afrique cette phrase de Nelson Mandela s’applique-t-elle. Le continent, qui comptera plus d’1,7 milliard d’habitants d’ici à 2030, est d’ores et déjà peuplé de 600 millions de jeunes – soit un Africain sur deux. Autant d’enfants devant impérativement être scolarisés, auxquels viendront s’ajouter, dans les dix prochaines années, 170 millions de jeunes supplémentaires. Or, en Afrique subsaharienne, plus d’un cinquième des enfants âgés de 6 à 11 ans n’est pas scolarisé, suivi par un tiers des jeunes âgés de 12 à 14 ans, selon les données de l’ISU (Institut de statistiques de l’Unesco). Seul un jeune Africain sur trois (33%) atteint le secondaire et 7% seulement d’une classe d’âge intègre un établissement d’enseignement supérieur, contre près de huit sur dix (76%) au sein des pays occidentaux.
En Afrique, l’éducation progresse malgré de profondes inégalités
Ce retard, incontestable, de l’Afrique sur les pays dits développés, ne doit cependant pas masquer la spectaculaire progression de l’éducation, tous niveaux confondus, sur le continent. Ainsi, 80% des enfants africains bénéficient aujourd’hui de l’accès à l’école primaire, contre 64% en 2000 ; et près de quatre jeunes sur dix intègrent désormais le secondaire, contre moins de trois au début de la décennie précédente. Ces chiffres, aussi encourageants soient-ils, ne suffisent pourtant pas à appréhender la complexité de la problématique éducative en Afrique. Derrière eux se dissimulent encore de profondes inégalités : entre les Etats, tout d’abord, le Nigeria ne consacrant par exemple que 7% de son budget national à l’éducation, contre 25% au Sénégal ; entre les sexes, ensuite, les filles allant, dans certains pays comme le Mali ou l’Ethiopie, deux fois moins longtemps à l’école que les garçons ; entre les classes sociales, enfin, les enfants les plus pauvres ayant quatre fois moins de chances de fréquenter les bancs de l’école que ceux issus des familles africaines les plus aisées.
L’enseignement supérieur est, quant à lui, confronté à plusieurs défis. Encore trop peu attractifs sur le plan international, les établissements supérieurs africains subissent, de plus, une véritable « fuite des cerveaux » – des étudiants comme des professeurs – vers leurs concurrents étrangers. Paradoxalement, ces mêmes écoles et universités, bénéficiant souvent de ressources insuffisantes, sont bien en peine d’absorber l’explosion des effectifs d’étudiants sortis du secondaire – ce manque de places, de personnel et de moyens se répercutant directement sur la qualité de l’enseignement. Enfin, ces établissements pâtissent parfois de l’inadéquation entre les formations qu’ils proposent et la réalité du marché de l’emploi. L’urgence est donc d’orienter les étudiants africains vers des enseignements à la fois pragmatiques, professionnalisants et accessibles.
Le privé a un rôle à jouer dans la transition numérique africaine
L’inclusion numérique représente, à ce titre, sans doute l’un des plus formidables leviers sur lesquels doit peser le continent. Longtemps en retard sur les pays du Nord, l’Afrique fait désormais figure d’eldorado de la téléphonie mobile, avec quelque 660 millions d’habitants équipés d’un smartphone, soit un taux de pénétration de 55% – deux fois plus qu’en 2016. Une révolution digitale notamment portée par la croissance fulgurante du secteur des transactions financières numériques, ou m-banking, le continent représentant même un modèle mondial en la matière. En Afrique, éducation et numérique sont donc intimement liés, et sur ce sujet comme sur d’autres, c’est encore le pragmatisme qui doit primer. S’il convient, évidemment, de soutenir les acteurs et opérateurs africains, ce sont bien le professionnalisme et l’expertise de ces acteurs – qu’ils soient africains ou étrangers – qui doivent guider les décisions.
Dépassionnons le débat : ne perdons pas de vue, au prétexte, légitime, de favoriser les acteurs locaux, l’objectif final de ce développement technologique et économique : l’accès des Africains à l’éducation, aux TIC et à la téléphonie mobile, cette dernière réalisant la promesse de pallier définitivement à la sous-bancarisation des Africains. N’oublions pas qu’investir sur des entreprises étrangères – telles que l’opérateur de taille intermédiaire Telecel, implanté sur le continent depuis plus de 25 ans, et qui, ce n’est pas un hasard, finance des établissements supérieurs, comme Lucas University, présente au Ghana, au Niger et au Togo– permet un transfert de compétences sur le long terme et, à l’avenir, une internalisation de ces mêmes compétences par les Africains. Ailleurs sur le continent, de nombreuses initiatives ont vu le jour : comme le Primary Teaching Learning Program, développé par l’Unesco et l’entreprise Nokia, proposant des formations continues à distance ; ou, au Sénégal, la mise en place du logiciel Mirador, calculant en temps réel les besoins des établissements du primaire et du secondaire.
Autant d’exemples qui démontrent qu’aucune porte ne doit être fermée pour accélérer l’accès à l’éducation et la transition numérique en Afrique.