Les misérables à l’Elysée

Les misérables à l’Elysée

Par Guillaume Allègre

Emmanuel Macron a vu « Les misérables », le film de Ladj Ly à l’Elysée. Selon le Journal du Dimanche, le président aurait été « bouleversé par la justesse » du film et aurait demandé au gouvernement d’agir pour « améliorer les conditions de vie en banlieue ». Le président s’est fait railler sur le thème des films qu’il devrait regarder (Frédéric Says suggère « Les Bronzés » pour étudier la solitude de la classe moyenne entre deux âges…). Le film se situe à Montfermeil, où les Thénardier tiennent une gargote dans Les misérables de Victor Hugo, et suit la maraude de trois Bacqueux. Il mêle habilement et sans manichéisme le point de vue des policiers et celui des habitants de la cité des Bosquets. Il y décrit une certaine réalité de la banlieue (notamment le rôle des médiateurs et celui des violences, entre autres policières). Le film est une fiction, il a pour objectif de tenir en haleine le spectateur plutôt que de documenter la vie dans les cités au 21ème siècle.

Que le président ait besoin d’un film de fiction pour s’informer sur la banlieue souligne la force du film mais laisse rêveur, Montfermeil n’étant qu’à 20 km de l’Elysée. En tant que président, Emmanuel Macron est le représentant de tous les français, or 7% des français, 4,4 millions de personnes, vivent en Zone Urbaine Sensible. Rappelons que la politique dite de la ville a été lancée sous François Mitterrand. Olivier Klein, maire et habitant de Clichy-sous-Bois, commune voisine de Montfermeil, vient d’être investi par LREM pour les prochaines municipales et serait compétent pour discuter des conditions de vie en banlieue. Ou peut-être que le président s’est rendu compte que les problèmes des cités sont explosifs et qu’un embrasement comme en 2005, combiné à la grève qui commence le 5 décembre, possiblement rejointe par les gilets jaunes, donnerait une atmosphère prérévolutionnaire à la seconde partie du quinquennat.

La réaction du Président pose la question du manque de diversité du personnel politique français : selon l’Observatoire des inégalités, employés et ouvriers représentent la moitié de la population active et comptent pour dix fois moins parmi les député(e)s. Contrairement à une idée répandue, ce phénomène ne date pas de l’effondrement du parti communiste, puisqu’employés et ouvriers ne représentaient que 4% des députés en 1958, et 9% en 1967 malgré la poussée de la gauche. Le phénomène n’est pas spécifique à la France : aux Etats-Unis, le patrimoine médian des membres du Congrès est de 800 000 dollars. Or, comme le montrent les propos rapportés du Président, une ignorance sur les conditions de vie et préoccupations d’une grande partie de la population a des conséquences directes sur la politique menée par le gouvernement. La question de la diversité de la représentation n’est donc pas une demande populiste ou démagogique, elle a des conséquences directes en termes de bonne gouvernabilité.

Or, la baisse du nombre de députés pourrait encore réduire la diversité de la représentation, du fait de circonscriptions plus grandes. Il n’est pas sûr que la part de scrutin proportionnel compense la baisse du nombre de circonscriptions (les partis pouvant faire passer les apparatchiks avant la diversité). Une solution pour une meilleure représentation serait alors de tirer au sort les sénateurs. Les sénateurs ne seraient plus les élus des territoires, ce qui est légitime puisque les territoires ne votent pas, mais représenteraient la population française dans son entière diversité, par la magie du tirage au sort : territoriale mais aussi de catégorie professionnelle, d’origine, de religion, de sexe, d’orientation sexuelle ou de toute catégorie à laquelle on peut penser aujourd’hui ou demain.

Cela revient à faire un jury citoyen pour toutes les lois. De plus, les partis ne pourraient pas s’arranger entre eux pour changer la constitution mais seraient obligés de passer par un ‘peuple en miniature’. Contrairement à la démocratie directe (référendum) où c’est tout l’électorat qui participe à la décision, ce qui contourne le problème de la représentation, le tirage au sort de représentant permet de répondre à la critique de l’ignorance rationnelle émise par Ferghane Azihari selon laquelle les électeurs n’ont pas intérêt à s’informer avant de voter puisque la probabilité d’influencer l’élection est nulle pour chaque citoyen pris isolément. Une assemblée tirée au sort n’est par construction pas élue, et elle a le temps de s’informer avant de prendre une décision.

La revendication de tirage au sort des représentants était portée par les gilets jaunes. Il est temps d’écouter la France dans sa diversité.

 

 

 

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