Une série de reportages illustrant la formidable montée en puissance de la Chine partout dans le monde : « Il est midi à Pékin », ouvrage signé Gilles Fontaine et Éric Chol (Fayard), s’est vu attribuer le prix du Livre d’économie 2019.
Pour commenter l’irrésistible montée en puissance de l’Empire du Milieu, on a coutume, depuis la petite France, de citer cette prophétie attribuée à Napoléon : « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Et bien ça y est. La Chine est bel et bien réveillée, et le monde n’est déjà plus tout à fait le même. C’est ce que montre, en 38 reportages, le document signé par les journalistes Eric Chol (L’Express) et Gilles Fontaine (Challenges) qui vient d’être récompensé, lors de la 21e journée du Livre d’économie, du prix remis par le ministère de l’Education nationale et le ministère de l’Économie et des Finances en partenariat avec l’association Lire la Société.
Un tour du monde à dos de dragon
Les deux auteurs font partie des journalistes français qui connaissent le mieux la Chine. Eric Chol fut correspondant à Hong-Kong au moment de la rétrocession. Gilles Fontaine s’y est rendu régulièrement au cours des vingt dernières années. Mais l’ouvrage qu’ils signent à quatre mains nous projette bien au-delà des frontières de l’Empire. Fruit d’un travail de dix ans, leur livre est construit sur une idée ingénieuse : raconter l’empreinte de la Chine dans le monde, fuseau horaire par fuseau horaire.
Au fil des chapitres, on passe ainsi de la Mer de Chine, horizon proche où se joue une sourde bataille d’influence contre l’adversaire américain, à l’Afrique, continent convoité pour la richesse de ses sols, en passant par les ports européens, débouchés de la formidable machine commerciale chinoise. Partout se fait sentir la puissance grandissante de Pékin : financements, rachats, extraction de minerais, partenariats culturels… Au coeur de cette vaste entreprise d’influence, on trouve les nouvelles Routes de la Soie, projets d’infrastructures colossales destinées à « relier l’Empire à ses confettis », comme l’expliquait Gilles Fontaine sur BFMTV à la sortie du livre.
Vers l’avènement du siècle chinois
Le tableau qui se dégage du livre forme selon Le Monde « un ensemble original et impressionnant », qui vaut surtout par les signaux faibles qu’il révèle, ces histoires moins connues qui montrent jusqu’où se niche l’activisme de Pékin. Par exemple dans les pôles. L’Antarctique abrite désormais une base chinoise dont les objectifs pourraient bien être militaires, tandis que le Groenland est le théâtre d’une bataille silencieuse pour la possession des terres-rares indispensables à la fabrication de matériel électronique.
En France aussi, le pays pose ses pions. On apprend ainsi que les fonds marins autour de l’atoll de Clipperton intéressent davantage Pékin que Paris. Que des liens ont été noués entre l’OL de Jean-Michel Aulas et un club de football chinois. Que Colmar est devenue du jour au lendemain, par la magie d’une émission de télé réalité, le symbole de la gastronomie française, une ville où s’arrêtent les autobus de touristes au cours de leur tournée européenne.
Aucun interstice ne semble avoir été oublié (pas même la face cachée de la Lune) dans ce plan de déploiement méthodique et rapide, théorisé et exécuté par Xi Jinping et le Parti au pouvoir. Les auteurs en sont convaincus : « il y a fort à parier que le 1er octobre 2049, lorsque la Chine célébrera le centième anniversaire de sa révolution communiste, le monde sera entré dans le siècle chinois ».
Pendant ce temps, une France en perte de repères
A l’occasion de la dernière Journée du Livre d’économie, un prix spécial a été décerné à l’ouvrage d’Hervé Le Bras, Se sentir mal dans une France qui va bien (Editions de l’Aube). Au fil de cet essai ancré dans une actualité balayée par la contestation, le démographe cherche à résoudre le paradoxe d’un pays objectivement considéré comme l’un des plus prospères et protecteurs au monde et où, pourtant, la population cède à un pessimisme collectif qu’on ne trouve que dans les pays en guerre.
Un monde qui se reconfigure à vitesse grand V sous l’influence de la possible puissance dominante du 21e siècle ; une France à la peine dans les immenses transformations engendrées par la mondialisation : parfait résumé de l’année écoulée, et au-delà, de la décennie 2010-2020.