Carlos Ghosn : une évasion et beaucoup de questions

Carlos Ghosn : une évasion et beaucoup de questions

Après son départ du Japon, où il est accusé de malversations financières, l’ancien homme fort de Renault-Nissan prépare sa riposte médiatique. Il doit prendre la parole le 8 janvier pour livrer sa version des faits.

Splendeurs et misères d’un enfant de la mondialisation : tel pourrait être le titre d’une future biographie consacrée à Carlos Ghosn. Longtemps porté aux nues pour avoir redressé le constructeur japonais en difficulté, le tout-puissant patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi s’est fracassé contre la roche Tarpéienne ce jour de novembre 2018 où il s’est fait arrêter par la police japonaise. 

Emprisonné pendant plusieurs mois avant d’être libéré sous caution, il préparait dans une villa de Tokyo un procès censé se dérouler en 2020. Jusqu’à ce spectaculaire coup de théâtre qui aura animé les fêtes de fin d’année : à la surprise générale, y compris celle de ses avocats, Carlos Ghosn a choisi de quitter le territoire japonais pour échapper aux poursuites dont il est l’objet. A bord d’un jet privé, il s’est d’abord dirigé vers la Turquie, puis vers le Liban où il réside désormais.

Qu’est-ce qui explique cette fuite rocambolesque ? 

Pout justifier cette décision extrême, les journaux évoquent un homme accablé, coupé de son épouse par la sévérité des juges, démoralisé à l’idée de passer les prochaines années isolé des siens. 

Les explications les plus folles ont été avancées pour expliquer ce qui, techniquement, s’apparente à une évasion. On dit qu’il aurait échappé à la vigilance de ses gardiens dissimulé dans une malle. Qu’il se serait payé les services d’un cabinet privé spécialisé dans les extractions. Carlos Ghosn, lui, jure qu’il a fui par ses propres moyens. Les images de la vidéosurveillance devant son domicile tendent à prouver cette version. Reste que l’homme d’affaires a difficilement pu quitter le territoire japonais sans se dissimuler derrière une fausse identité. 

L’épisode est loin d’avoir livré sa vérité. Nul doute qu’il constituera le sommet du prochain film consacré à l’affaire. Selon le Monde, qui a d’abord affirmé que le fugitif avait vendu à Netflix les droits de son histoire avant de démentir, l’idée intéresserait un producteur. Le charismatique M. Ghosn est coutumier d’une certaine starification : à ses débuts au Japon, il avait fait l’objet de mangas à sa gloire. 

Qu’est-il reproché à Carlos Ghosn ? 

« Je n’ai pas fui la justice, a déclaré M. Ghosn à son arrivée à Beyrouth. Je me suis libéré de l’injustice et de la persécution politique ». L’homme d’affaires, qui se dit depuis le début victime d’un complot politico-industriel fomenté par des cadres nationalistes de chez Nissan, a toujours nié les faits qui lui sont reprochés par le juge nippon.

La première accusation concerne la dissimulation aux autorités boursières japonaises de la totalité des sommes qu’il espérait toucher à son départ de Nissan, un montant estimé à 76 millions d’euros. 

L’autre volet de l’affaire porte sur deux « abus de confiance aggravés ». D’une part, le détournement des caisses de Nissan de 14,7 millions de dollars au profit d’un ami saoudien. D’autre part, le versement à une société basée à Oman de fausses primes récupérées par M. Ghosn pour son usage personnel. 

L’accusé risquait jusqu’à 15 ans de prison et plus d’un million d’euros d’amende. 

Que va devenir l’ancien grand patron ? 

Ayant fui un pays où il n’a aucune intention de remettre les pieds, Carlos Ghosn ne sera probablement jamais jugé pour les faits qui lui sont reprochés. En droit japonais, le procès par contumace n’est pas possible pour les faits concernés. Mais son ancien bras droit et co-accusé Greg Kelly, devrait, lui, comparaître cette année. 

S’il a retrouvé sa liberté, Carlos Ghosn n’en est pas pour autant libre de ses mouvements. Si Tokyo décide de lancer un mandat d’arrêt international, l’accès aux pays disposant d’un accord d’extradition avec le Japon, dont les Etats-Unis, lui sera interdit.

La secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher s’est empressée de déclarer que s’il revenait en France, il ne serait pas extradé (la France n’extrade pas ses nationaux). Pas sûr néanmoins qu’il se précipite dans un pays où il reste sous le coup d’une enquête sur le financement d’une partie de son mariage au château de Versailles, et sur certains paiements ordonnés à Renault.

Difficile dans ces conditions d’imaginer l’ancien homme fort de Renault-Nissan endosser à nouveau le costume de grand patron transnational qu’il aura incarné jusqu’à la démesure. L’homme qui se jouait des fuseaux horaires, distribuant son temps entre Paris, Tokyo et le reste du monde, risque de se voir condamné à une « vie de fugitif international » incompatible avec l’exercice du pouvoir économique à l’heure de la mondialisation. 

Autre option parfois avancée : une reconversion dans la vie politique libanaise. Un pari risqué à l’heure où les Libanais protestent massivement contre des élites jugées corrompues. 

Eric Fougerolles est un journaliste spécialisé dans le domaine de l’économie et de l’Europe. Diplômé de Sciences Po et en Droit communautaire, il travaille depuis une quinzaine d’années pour divers médias européens. Il est rédacteur pour Confluences.

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