« Ok Boomer » : Et si cette fois le conflit générationnel était réel ?

« Ok Boomer » : Et si cette fois le conflit générationnel était réel ?

L’expression « Ok boomer » a été popularisée lorsqu’une parlementaire néo-zélandaise de 25 ans, Chlöe Swarbrick, s’est fait chahuté sur son âge durant un discours sur le changement climatique et qu’elle a répondu par un simple « Ok boomer ». L’expression est devenue une réplique utilisée pour se moquer des membres de la génération des baby-boomers, en particulier en réponse aux critiques faites aux générations plus récentes. « Ok boomer » n’est pas le synonyme modernisé de « vieux schnock » ou autre expression faisant référence à l’âge de l’interlocuteur. Boomer fait référence à une génération, définie non par l’âge mais par l’année de naissance.

Certains confondent âge et génération et dénoncent la discrimination anti-vieux ou l’âgisme. La confusion est facile car, à une date donnée, âge et génération se confondent : tous les membres de la génération des baby-boomers sont dans la même classe d’âge. Les Baby-boomers sont la génération, née entre 1946 et 1964. Cette génération se caractérise par le fait d’avoir été nombreuse (Baby-boom) et d’avoir connu une période économique faste (Trente glorieuses). C’est aussi la première génération à ne pas avoir connu de guerre sur le sol national.

Faut-il relancer le conflit générationnel ? La dénonciation des iniquités générationnelles n’est pas nouvelle. On trouve dans chaque génération des personnes pour se plaindre de son sort. En 1993, Christian Saint-Etienne, né en 1951, publiait Génération sacrifiée, les 20-45 ans.  Les personnes âgées de 45 ans en 1993 étaient nées en 1948 soit en plein dans le baby-boom, une génération supposée dorée. Notons aussi que la génération sacrifiée selon Christian Saint-Etienne était la sienne. Louis Chauvel, né en 1967, s’est spécialisé dans la dénonciation des baby-boomers. Dans Le monde, il écrivait en 2011 :  « Les derniers retraités aisés du début du baby-boom décident de l’appauvrissement des générations nées trop tard, victimes muettes d’enjeux où leur absence est sciemment organisée », « les nouvelles générations nées après 1955, celles entrées dans le monde du travail après 1975 dans le contexte du plein chômage, ont été affectées de façon durable, voire définitive. » La génération de Louis Chauvel aurait donc été sacrifiée par celle de Christian Saint-Etienne ! A l’heure de la réforme des retraites annoncée par Edouard Phillippe, ce serait la génération née après 1975 qui serait sacrifiée.  Dans un thread, Camille Peugny, né en 1981, écrit : «  les cohortes nées en 1975 et après ont d’abord trouvé sur leur chemin un taux de chômage des jeunes actifs systématiquement 2 à 3 fois plus élevé que pour le reste de la population », « Rappelons ensuite que lorsqu’elles ont trouvé un emploi, ce dernier est de plus en plus souvent précaire ».

Le discours sur les générations dorées et les générations sacrifiées s’appuient sur certaines réalités. Il est vrai que les baby-boomers ont bénéficié des Trente Glorieuses qui leur a permis d’avoir des carrières fortement ascendantes. De plus, étant nombreux, ils n’ont pas eu de mal à financer les retraites de leurs ainés. Au contraire, les générations actives actuelles doivent financer les retraites des nombreux baby-boomers, d’où une série de réformes des retraites ayant pour objectif d’allonger la période de cotisation. Les baby-boomers ont également bénéficié de l’augmentation des prix immobiliers.  A l’inverse, il est vrai que les générations suivantes ont connu le chômage et la précarité lors de leur entrée dans la vie active, de prix immobiliers importants lors de leur achat de logement ainsi qu’une croissance en berne : leur carrière est ainsi moins ascendante que celle des baby-boomers.

Les générations suivantes ont-elles pour autant été sacrifiées par les baby-boomers ? Une partie des problèmes provient de la forte baisse de la croissance à partir du début des années 1980. Peut-on le reprocher aux baby-boomers ? La forte croissance des Trente Glorieuses a été en partie la conséquence du rebond suite aux deux guerres mondiales et la crise des années 1930. Faut-il espérer les destructions d’une guerre pour pouvoir ensuite bénéficier d’une forte croissance ? De plus, si la croissance n’est plus aussi forte, les niveaux de revenus sont eux plus élevés, du fait de la croissance passée : les jeunes générations bénéficient de niveaux de vie bien plus élevés que ceux des baby-boomers au même âge. Leurs logements, plus coûteux, sont également plus grands et de meilleure qualité (par exemple, tous les logements ont aujourd’hui des toilettes et des salles de bain, ce qui n’était pas le cas lorsque les baby-boomers étaient jeunes).

Dette économique ou dette climatique ?

Pour juger de l’éventuelle injustice intergénérationnelle, il faudrait tout d’abord définir des critères de justice générationnelle. Malheureusement, il n’existe pas de critère consensuel d’équité intergénérationnelle, ce qui complique grandement l’analyse. Un critère possible est de regarder les transferts : l’équité impliquerait qu’une génération transfère au moins autant à la génération suivante que ce qu’elle a reçu de la génération précédente[1]. Quels sont ces transferts intergénérationnels ? En termes de dépenses publiques, comme nous l’avons vu, il y a un transfert ascendant des actifs vers les retraités. On oublie parfois qu’il y a également un transfert descendant des actifs vers les enfants, sous forme de dépenses d’éducation. Notons que la dépense publique d’éducation dans le PIB s’est maintenue ces trente dernières années entre 6 et 7%, les baby-boomers n’ont donc pas compensé le poids plus important de leur retraite par un investissement massif dans l’éducation, ce qu’ils auraient probablement dû faire. Les transferts privés sont également importants, notamment les héritages. Le taux d’épargne en France reste très élevé (autour de 14%), signe que les générations ne sont pas égoïstes : les plus âgés ne brûlent pas leur épargne en faisant du jet-ski à Miami-Beach, mais transmettent leur très forte épargne sous forme d’héritage aux générations suivantes qui bénéficient ainsi de l’augmentation des prix de l’immobilier. Evidemment, ceci ne vaut, au sein de chaque génération, que pour les héritiers : la plus forte iniquité se fait au sein des générations (entre les héritiers et les autres) plutôt qu’entre les générations.

Pourtant, il existe bien aujourd’hui une iniquité intergénérationnelle, mais ce n’est pas celle soulevée par Christian Saint-Etienne, Louis Chauvel ou Camille Peugny. L’iniquité est soulevée par une génération plus jeune personnifiée par Chöe Swarbrick et Greta Thumberg : c’est la dette climatique. Les baby-boomers ne transfèrent pas que des héritages financiers et immobiliers, ils transfèrent également un capital naturel fortement dégradé : accumulation de CO2 dans l’atmosphère provoquant le réchauffement climatique, perte de la biodiversité, etc. Il n’est alors pas étonnant que ce soient les générations les plus récentes qui s’insurgent : non seulement ils n’ont pas de responsabilité politique, n’ayant pas été au pouvoir et n’ayant pas de poids électoral, mais ce sont elles – ainsi que les générations non nées – qui subiront le plus fortement les dégâts et paieront, on peut l’espérer, le coût de la transition écologique, en termes d’investissement vert, investissement vert qui n’a pas jusqu’ici été réalisé malgré la connaissance des dégats. « Boomer » est la génération qui a fermé les yeux face au réchauffement climatique. C’est là la véritable injustice générationnelle.

 

[1] Mais comment traiter les tailles différentes des générations ? Faut-il regarder les transferts totaux ou par tête ?

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