Ce que cache la baisse continue du chômage

Ce que cache la baisse continue du chômage

Descendu à son plus bas niveau en 10 ans, le chômage en France continue sa lente décrue. Outre la question des causes (cette baisse est-elle due à la conjoncture ? A l’action d’Emmanuel Macron ou à celle de son prédécesseur ?), les analystes pointent la nature des emplois créés.

C’est une bonne nouvelle qui passe relativement inaperçue en ces temps de bouillonnement social. Avec plus d’un million d’emplois nets créés en 5 ans et une nouvelle baisse de 3% en 2019, la France est en train de s’éloigner lentement (et sûrement ?) du chômage de masse.

Signes que cette baisse n’a rien d’artificiel : 9 emplois sur 10 le sont dans le privé. Le nombre de contrats aidés est en baisse. S’il sera difficile d’en convaincre les incrédules, aucun « tour de passe-passe statistique » n’a été relevé dans les chiffres annoncés. Quant au recours à l’apprentissage et à l’alternance, s’il compte dans cette décrue, il ne peut être considéré comme une tendance lourde. Une bonne nouvelle, donc. Du moins pour ceux qui considèrent que n’importe quel emploi vaut mieux que pas d’emploi du tout.

Moins de chômage mais des emplois plus précaires

Car c’est bien la qualité des emplois créés qui interroge. « Malgré la reprise des embauches en CDI, le taux de précarité mesuré comme étant la part des CDD et de l’intérim dans l’emploi total est à un sommet » note dans La Tribune Alexandre Mirlicourtois, qui voit néanmoins cette « dérive » enrayée depuis 2017.

Liêm Hoang-Ngoc, dans Marianne, n’est pas aussi magnanime. S’appuyant sur une étude récente de l’OFCE, il estime que la baisse du chômage a généré « une masse d’emplois de serviteurs précarisés ». L’économiste, proche des Insoumis, agite ici un épouvantail de la gauche française :  les réformes Hartz, adoptées en Allemagne au début des années 2000 par le chancelier Schröder, avec pour effet une baisse spectaculaire du chômage couplée à une hausse des emplois précaires, les fameux « jobs à un euro ». On n’en est pas encore là, mais pas loin.

Les créations d’emplois, remarque-t-il, sont localisées dans les secteurs à faible valeur ajoutée, tels que la restauration, le commerce, les services aux personnes et le bâtiment. Alexandre Mirlicourtois parle pour sa part de « jobs morcelés de service à faible productivité, liés notamment aux services à la personne, à la logistique, au gardiennage ». Des jobs payés au SMIC, fortement dépendants de la conjoncture, et qui ne permettent pas d’accompagner la baisse du chômage d’une diminution des inégalités.

En route vers le modèle japonais ?

L’autre interrogation liée à cette baisse, c’est qu’elle a eu lieu sur une période faible croissance, à peine supérieure à 1% par an. L’essayiste aronien Nicolas Baverez voit dans la baisse des charges et dans les réformes successives du marché du travail la cause de ce phénomène. C’est la confirmation rétrospective d’une de ses intuitions : « le coût et la surréglementation du travail portent une responsabilité majeure dans le chômage de masse qui s’est installé en France depuis les années 1970. »

Loin de se réjouir, Baverez entrevoit le rapprochement entre le modèle français et l’économie d’un pays repoussoir : le Japon. Avec trois caractéristiques : une stabilisation de la population active ; le blocage des gains de productivité qui donne lieu, en période de croissance, à la création d’emplois précaires et peu rémunérés ; l’endettement massif. Le principal problème, pour Baverez, c’est le malthusianisme tapi derrière les bons chiffres français : si baisse de chômage il y a, elle est davantage liée à une diminution de la population active qu’au redressement de l’appareil productif. L’autre point noir, c’est l’éloignement durable de l’emploi de certaines catégories de Français : « des pans entiers de la population et des territoires en situation d’exclusion qui accumulent les handicaps et dépendent entièrement des transferts d’un État qui se trouvera en situation de défaut lorsque les taux d’intérêt remonteront ».

Finalement, le penseur libéral rejoint ses adversaires plus étatistes dans le constat d’une baisse qui ne résout pas grand chose. Dans une période de faible croissance, où la « concurrence » des machines risque de se faire de plus en plus rude, la crainte d’un décrochage inéluctable des moins bien lotis continue de peser sur l’avenir. Seul un changement radical de perspective, qui pourrait se traduire par des investissements massifs dans la lutte contre le réchauffement climatique, est susceptible de changer la donne. Faute de quoi, la France risque de rester pour longtemps engluée dans l’alternative entre inactivité de masse et hausse de la précarité.

Eric Fougerolles est un journaliste spécialisé dans le domaine de l’économie et de l’Europe. Diplômé de Sciences Po et en Droit communautaire, il travaille depuis une quinzaine d’années pour divers médias européens. Il est rédacteur pour Confluences.

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