La peur du coronavirus donne corps à la mondialisation

La peur du coronavirus donne corps à la mondialisation

Tandis que le coronavirus parti de Chine se répand partout dans le monde, les indicateurs économiques sont à l’orange. Pour l’heure, tout semble sous contrôle, mais comme les pouvoirs publics confrontés au risque sanitaire, les augures de l’économie mondiale restent sur le qui-vive.

A ce stade, le FMI table sur un simple ralentissement au premier semestre, 0,1 point de croissance mondiale, soit l’équivalent du SRAS. Mais certains voient déjà dans l’épidémie qui menace de dégénérer en pandémie le déclencheur de la prochaine crise. Nombre d’experts redoutent depuis des années une crise des dettes souveraines ou un éclatement de la bulle immobilière. Personne n’avait tablé sur une crise de l’offre telle qu’elle se profile si les choses devaient empirer.

Témoin l’affolement des marchés. Avec quatre séances consécutives à la baisse, les bourses européennes s’approchent de la correction (recul de 10% par rapport au plafond précédent). Une chute de l’euro vers la parité avec le dollar n’est pas à exclure. Emballements, volatilité, montées de fièvres et brusques baisses de tension : on connaît ces phénomènes de panique boursière qui offrent un reflet dans les salles des marchés de ce qui se joue à l’échelle du corps humain.

Mais si les marchés s’inquiètent, c’est qu’il y a de bonnes raisons : l’économie réelle, depuis des semaines, fait plus que donner des signes d’essoufflement. Avec la peur de la contagion, chaque zone touchée par le virus qui se met à tourner au ralenti. L’Italie en offre un exemple saisissant. Même si la maladie s’est déclenchée à ses portes, les rues de Milan sont pratiquement vides. La ville perdrait selon son maire 4 millions d’euros par jour. Le luxe italien, fleuron de l’Italie du Nord, devrait perdre 5% de son chiffres d’affaires ce semestre… si les choses en restaient là. Un tel ralentissement pourrait faire basculer l’économie italienne dans la récession.

Le coronavirus entrave la circulation des biens et des personnes   

Mais pour réaliser ce que le virus fait à l’économie, il faut regarder du côté de la Chine. 51 000 groupes étrangers y ont un fournisseur, de quoi créer des tensions insurmontables sur toute la chaîne d’approvisionnement dont il est difficile aujourd’hui de mesurer l’ampleur. Les entreprises de la tech et de l’automobile tirent déjà la sonnette d’alarme. Avec le ralentissement de la production chinoise, le monde réalise à quel point il est devenu dépendant de cet immense pays-usine… y compris pour la fabrication de médicaments.

A l’arrière-plan de la panique qui monte, il y a la circulation des personnes. En France, les membres de partis à tendance autoritaire, qui misent tout sur l’incarnation régalienne, appellent à fermer les frontières, ne serait-ce que pour réhabiliter la notion de limite. Mais les frontières ne sont pas des écluses. Les épidémiologistes répètent qu’elles n’ont rien d’étanche à l’heure où des milliards de voyageurs se déplacent de manière autonome sans qu’il soit possible de surveiller tout le monde. Sans oublier que l’entrave aux personnes, si elle peut offrir un sentiment de sécurité plus ou moins réconfortant, a des conséquences économiques brutales, sinon en termes de recettes touristiques (si tant est que des touristes veuillent encore visiter les zones touchées), du moins sur le business en général.

Pour autant, si la maladie se répand, les gouvernements pourraient être tentés d’y recourir sous la pression, au moins pour donner le sentiment d’agir. Car si la circulation des biens et des personnes est aujourd’hui menacée, il est une matière qui se répand avec une vélocité stupéfiante, c’est l’information. Impossible de la contenir totalement, même dans un régime aussi verrouillé que la Chine communiste. Avantage : le monde est averti de la situation sanitaire en temps réel, ce qui permet d’anticiper et de communiquer sur les dangers encourus. Inconvénient : dans le bain de paranoïa et de complotisme où pataugent certains consommateurs d’actualité, les phénomènes de psychose, de surréaction et de méfiance à l’égard des politiques publiques ne sont pas à exclure.

Métaphores biologiques

Ce qui frappe dans cette séquence, c’est de voir à quel point le virus impose sa logique aux sociétés, par-delà le simple aspect médical. Ces jours-ci, les journalistes ont tendance à recourir, pour décrire la situation, à des métaphores biologiques. On parle d’économie « grippée », de « montée de fièvre », on commente la situation en Lombardie en évoquant le « poumon » de l’Italie. Un phénomène qui n’a rien de nouveau. Les régimes fascistes ont porté à leur paroxysme l’approche organique de la société, le peuple étant alors vu comme un corps social, le plus souvent soumis à des maladies parasites qu’il revenait à l’Etat de soigner avec les moyens qu’on sait…

Cette approche organique fonctionne aussi dans un monde ouvert, selon des modalités bien différentes. Le monde dont nous parlent les journaux à l’heure du coronavirus, c’est un monde vu comme un immense flux de personnes et de marchandises, où les Etats agissent comme des unités décentralisées chargées de contenir la progression du mal et où la communauté scientifique en réseau, seule autorité à même d’éradiquer le virus, travaille d’arrache-pied pour trouver un remède.

L’épidémie agit comme le révélateur du régime d’interdépendance quasi-inextricable dans lequel est entrée la planète en instaurant la division planétaire du travail couplée à la circulation massive des personnes. L’épidémie, c’est ce qui donne corps à la mondialisation.

Eric Fougerolles est un journaliste spécialisé dans le domaine de l’économie et de l’Europe. Diplômé de Sciences Po et en Droit communautaire, il travaille depuis une quinzaine d’années pour divers médias européens. Il est rédacteur pour Confluences.

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