« On reproche aux élites d’être déconnectées du terrain, mais jamais aux ONG d’être coupées des réalités »

« On reproche aux élites d’être déconnectées du terrain, mais jamais aux ONG d’être coupées des réalités »

Par Guillaume Aksil, Avocat au Barreau de Paris

Vilipendés, et souvent lynchés dans les médias et les milieux militants, les grands patrons portent, pour une partie de l’opinion publique, la responsabilité des inégalités sociales. Face à ce bashing, certaines vérités quant à l’impact réel de ces capitaines d’industrie sur notre société méritent d’être rétablies. Ces chefs d’entreprise créent de la valeur et sont des acteurs – il ne faut pas l’oublier – de l’amélioration des conditions de vie dans le monde.  

Davos, ses jets privés, ses hélicos dernier cri, son protocole au peigne fin et, surtout, son gratin de hauts dirigeants très fortunés… Année après année, le rendez-vous helvète suscite toujours autant d’animosité envers ce concentré de pouvoir. Rien de très inhabituel, finalement, puisque le même fiel se déverse le reste de l’année sur les grands patrons, accusés de creuser le sillon des inégalités sociales. Ces tout-puissants ont décidément tous les privilèges, comme celui d’être invités au Château de Versailles pour le salon Choose France à la veille du sommet de Davos.

Les résultats de ce salon pour investisseurs étrangers ont d’ailleurs dépassé les espérances du gouvernement, avec 8 milliards d’euros d’argent frais qui viendront rembourrer la coquette trésorerie de nos entreprises. C’est précisément entre ces deux événements d’ultra-riches qu’OXFAM a choisi de publier un nouveau rapport sur l’indécente fortune de ces chefs d’entreprise. Et il faut bien avouer que l’ONG est fichtrement douée pour faire ressortir les chiffres les plus incroyables sur les inégalités économiques dans le monde. Car ces dernières sont encore criantes partout sur la planète, y compris dans les pays économiquement développés comme le nôtre. 1 % des plus riches possèderait ainsi plus du double de la richesse de 92 % de la population mondiale, révèle le rapport.

Pendant que cette élite nage dans les billets de banque, près de la moitié des Humains vivrait avec moins de 5 euros par jour, y apprend-on aussi. Des statistiques qui, si elles étaient exactes, interrogeraient sur les limites de la redistribution dans l’économie de marché. Et le mirage de la théorie du ruissellement. Aussi OXFAM enjoint-il ‒ à juste titre ‒ le gouvernement français à s’attaquer aux inégalités hommes-femmes dans le monde du travail, à garantir un système de retraites corrigeant les inégalités et à rétablir une fiscalité plus équitable sur les contribuables les plus aisés. Autant de propositions qui doivent faire l’objet d’une véritable réflexion et d’un plan d’action stratégique. Mais là où l’ONG se met le doigt dans l’œil, c’est dans sa manie de jeter l’opprobre sur les chefs d’entreprise et la manière de démontrer ses accusations.

Dans le dernier rapport d’OXFAM, on lit ainsi que « si quelqu’un avait pu économiser l’équivalent de 8 000 euros par jour depuis la prise de la Bastille (14 juillet 1789), il n’arriverait aujourd’hui qu’à 1 % de la fortune de Bernard Arnault ». Le raisonnement derrière ce calcul est limpide : il a pour but de choquer l’opinion publique sur le niveau de fortune du patron de LVMH, estimée à 67 milliards d’euros. Si cette spectaculaire comparaison produit son effet, elle est toutefois de nature à décrédibiliser son auteur. D’abord, comme le rappelait Laurent Pahpy avec des tours de « passe-passe statistique » : « Selon Oxfam, avec dix euros, vous êtes plus riche que deux milliards de personnes réunies ». Ensuite, comme le souligne la journaliste Muriel Notte dans L’Opinion, la rigueur mathématique aurait déjà exigé de prendre en compte le véritable capital de Bernard Arnault. Ensuite, la méthode de calcul a cela d’invraisemblable qu’elle implique d’économiser cette somme pendant 230 ans sans la faire fructifier. Or, en investissant ou en plaçant cette manne providentielle, le patron français serait en réalité devenu plus riche qu’il ne l’est actuellement, a calculé Muriel Notte. Mais il aurait aussi très bien pu tout perdre si la Bourse en avait décidé autrement. Car qui dit grandes fortunes, dit aussi prise de risque. Les cours mondiaux ont battu des records ces dernières années. Faut-il remettre en cause le fonctionnement du système boursier, dont les égarements poussent au vice ? La question peut se poser, mais malheureusement OXFAM ne pousse pas la réflexion jusque-là. L’ONG préfère se contenter de pointer du doigt ceux qui créent de la valeur, quitte à utiliser des méthodes douteuses.

Il est dommage qu’OXFAM semble privilégier le sensationnalisme au détriment du sérieux des informations.

Par ailleurs, cibler un groupe français, au rayonnement international, porteur d’un savoir-faire français est selon nous un mauvais exemple. Il semblerait qu’il s’agisse – mauvaise pioche – du groupe industriel français qui va recruter le plus, en France, en 2020 (le groupe ouvrait en août dernier un atelier de maroquinerie aux abords d’Angers). Si l’on regarde les choses sous un angle positif donc LVMH va recruter en France tout en remettant au goût du jour les métiers anciens. Le palmarès Universum publié par le journal Le Monde en septembre 2019 indiquait que le groupe LVMH était celui qui attirait le plus les jeunes talents en 2019.

Les chefs d’entreprise, boucs émissaires et vaches à lait de notre société

Dans ses précédentes études, OXFAM avait ainsi usé d’une « méthodologie catastrophique », selon les termes de Patrick Arthus, chef économiste de la banque Natixis. Pour affirmer que les 26 plus riches du monde disposaient d’une fortune supérieure à celle de la moitié la plus pauvre de la population mondiale, soit 3,5 milliards de personnes, l’ONG avait simplement additionné l’ensemble des actifs et des dettes, de telle sorte qu’une personne avec un crédit immobilier supérieur à ses capitaux apparaissait avec un solde négatif. Avec cette logique, la fortune cumulée de 30 % de la population mondiale se révélait négative, et un enfant de sept ans se trouvait donc plus riche qu’un tiers de la planète. Par ce militantisme qui trahit toute rigueur et exhaustivité scientifique, OXFAM s’est aussi fait une spécialité de fustiger l’inéquitable redistribution des dividendes en France. Entre 2009 et 2017, les entreprises du CAC 40 auraient reversé 67 % de leurs bénéfices aux actionnaires et seulement 5,3 % aux salariés, d’après un précédent rapport. Mais là aussi, le calcul est biaisé car il ne prend pas en compte la part de profits mobilisés pour les augmentations de salaire, soit 2 à 4 % de la masse salariale totale, d’après le journaliste économique François Lenglet. Depuis 1985, 65 % de la valeur ajoutée d’une entreprise du CAC 40 irait pourtant aux salaires. Avec 240 milliards d’euros reversés en 2016, les salariés seraient donc les premiers bénéficiaires du partage des richesses, loin devant l’État (66 milliards d’euros) et les actionnaires (32 milliards d’euros nets d’impôts), selon une étude de l’Institut économique Molinari. Les rapports d’OXFAM ne mentionnent pas non plus que pour deux euros reversés aux actionnaires, il faut investir au moins un euro dans l’économie française. Ni que les dividendes des actionnaires sont taxés deux fois à hauteur d’environ 30 % en France, au titre des impôts sur les sociétés et le revenu…

La réalité peu visible et pourtant tenue pour acquise par les Français, c’est que les chefs d’entreprise français créent des milliers d’emplois, assurent un salaire à des millions de travailleurs et reversent au contribuable des milliards d’euros en charges sociales et fiscales par an. Cette facette-là de l’économie ne trouve pas sa place dans la vision parcellaire des rapports de certaines ONG. On reproche aux élites d’être déconnectées du terrain, mais jamais à ces organismes d’être coupés des réalités économiques. À l’heure de la prise de conscience de l’urgence climatique, le capitalisme, l’économie de marché et la mondialisation n’ont jamais eu aussi mauvaise presse. On leur impute les pires maux, mais ce même système a fait ses preuves dans la lutte contre la pauvreté qui devra toujours être combattue. Cette dernière est en recul à travers le monde. OXFAM ne l’admet forcément qu’à demi-mot mais, tandis que la richesse mondiale augmente, la pauvreté baisse aussi rapidement. D’après la Banque mondiale, le nombre de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté a diminué de plus d’un milliard en 30 ans alors que la population mondiale a augmenté de près de 3 milliards d’individus dans le même temps. En 2015, 10 % des Terriens vivaient avec moins d’1,70 euro par jour, contre 39 % en 1985 en prenant en compte la parité de pouvoir d’achat. En 2019, toujours d’après la Banque mondiale il n’y avait plus que 34 pays à faible revenu, contre 66 en 2003. Cet impact positif de la mondialisation ‒ en entend-on seulement parler dans les médias ? ‒ se traduit surtout par l’accession des populations pauvres à des services primaires (soins, éducation, électricité, eau courante, télécom etc.) et à la hausse du niveau de vie des classes moyennes dans les pays en développement.

Avocat de formation et titulaire de l'exécutive MBA "Leading innovation in a digital world" de l'Institut Mines-Télécom Business School, Guillaume Aksil est gérant du cabinet Lincoln Avocats Conseil. Il s'intéresse à l'impact des nouvelles technologies sur la vie quotidienne.

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