Le gaz naturel est-il vraiment une énergie « propre » ?

Le gaz naturel est-il vraiment une énergie « propre » ?

Alors que la transition énergétique revêt une dimension impérieuse et que l’objectif des 1,5 ° C nous semble déjà inaccessible, les industriels tentent d’avancer leurs solutions en faveur d’une limitation des émissions de CO2 liées à l’énergie. Parmi elles, le gaz « naturel » fait l’objet de toutes les attentions et est présenté comme une source d’énergie « propre ». À tort, au moins en partie. Par souci de précision sémantique, il serait même préférable de le nommer « gaz d’origine fossile », tant l’appellation « naturelle » peut être trompeuse. Déconstruction de quelques idées reçues bien ancrées dans l’opinion.

Oui, le gaz naturel est un fort contributeur aux émissions de gaz à effet de serre

Dans les faits, le gaz fossile est en effet moins polluant, notamment que le pétrole ou le charbon, mais ça ne l’empêche pas de contribuer significativement aux émissions de gaz à effet de serre. Alors oui, théoriquement, le gaz d’origine fossile est sans doute « la plus propre » des énergies fossiles. Ou du moins, la moins sale. Et encore, sous certaines conditions, tant la réalité est beaucoup plus complexe. Pour rappel, le contenu en CO2 du kWh à la production est de 1060 g par kWh pour le charbon, 730 pour le fioul, 418 pour le gaz. Viennent ensuite le photovoltaïque, pour 55 grammes de CO2 par kWh, l’éolien pour 7 grammes, puis à égalité, l’hydraulique et le nucléaire, pour 6 grammes selon les chiffres fournis par l’ADEME.

Le gaz naturel est donc bel et bien un contributeur majeur aux émissions de CO2 dues à l’énergie. Il était d’ailleurs responsable de 20,5 % de ce type d’émissions en 2017. Des taux certes moindres que le charbon et le pétrole, qui représentaient respectivement 44,2 % et 34,6 % des émissions globales, selon les chiffres fournis par l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE).

Cependant, le gouvernement, dans sa programmation pluriannuelle de l’énergie 2019, a fixé un objectif de 7 % de biométhane, version renouvelable du gaz fossile, injecté dans le réseau de transport du gaz naturel en 2030. Mais cet objectif, très ambitieux, reste conditionné à des investissements notables dans le réseau.

Les fuites de méthane liées à l’exploitation de gaz naturel polluent énormément

Il est souvent omis de préciser que l’extraction gazière, comme pétrolière, génère des fuites importantes de méthane, principal composant du gaz naturel. Problème majeur, car le méthane est aujourd’hui considéré comme un gaz à effet de serre et, par définition, un contributeur majeur au réchauffement climatique. Il contribuerait à hauteur de 17 % au réchauffement climatique et aurait même un potentiel de réchauffement global 34 fois supérieur au CO2. Selon l’Agence internationale de l’énergie, 75 millions de tonnes de méthane sont libérées chaque année dans l’atmosphère par l’exploitation gazière et pétrolière, soit 13 à 20 % des émissions globales de méthane.

Il reste délicat de quantifier les taux de fuite sur les sites d’exploitation de gaz, tant les chiffres varient d’une étude à l’autre. L’agence américaine de protection de l’environnement estime que les fuites de gaz naturel représentent 1,4 % de la production brute globale de gaz aux États-Unis. Largement sous-estimé, selon les auteurs d’une étude publiée en juin 2018, qui estiment que les fuites s’élèvent à 2,3 % de la production globale américaine. Dans certains cas, comme sur certaines installations russes, le taux de fuite pourrait atteindre 4 %. Avec un tel taux, l’utilisation du gaz serait, en termes d’émission de gaz à effet de serre, équivalente au charbon.

Comme toutes les énergies fossiles, le gaz naturel n’est pas une solution de long-terme

Les réserves de gaz sont limitées dans le temps. Il resterait, selon les différentes études, 52,6 années de gaz, contre seulement 50,2 années de pétrole. Les récentes découvertes de nouvelles réserves prouvées ont fait reculer le risque de pénurie à moyen terme. Mais, là encore, la situation est plus complexe. Les réserves, malgré les découvertes récentes, devraient se stabiliser et, au mieux, faire reculer l’échéance. Et, évidemment, n’espérons pas la reconstitution des réserves de gaz naturel, qui ne devraient pas advenir avant quelques centaines de millions d’années. Certes mieux réparti que le pétrole, le gaz naturel reste aussi fortement soumis aux conjonctures géopolitiques, plus de 50 % des réserves mondiales étant réparties entre la Russie, l’Iran et le Qatar, pour respectivement 27 %, 15 % et 14 % des réserves globales connues. Surtout, la consommation mondiale, elle, est grandissante. En 10 ans, la consommation de gaz naturel a grimpé de 30 % aux États-Unis, entre 2008 et 2018, de 246 % en Chine, de 79 % en Iran ou encore de 47 % en Arabie saoudite, selon les chiffres de l’industriel BP.

Non, le gaz n’est pas un candidat crédible à la transition énergétique

Malgré la bonne presse du gaz naturel, rien n’indique qu’il soit un candidat crédible dans la course à la transition énergétique. Les experts du GIEC répètent que, pour tenir les objectifs des 1,5 °/2 ° de l’Accord du Paris, 80 % des réserves fossiles doivent rester dans le sol. Le gaz naturel en fait, bien évidemment, partie. La transition énergétique suppose la décarbonation croissante, voire totale, des sources de production d’énergie. Et là, les choix sont limités. Une hausse croissante des sources d’énergie renouvelables dans le mix énergétique globale est nécessaire. Mais, elle dépend de nombreux facteurs, comme la puissance des vents pour l’éolien ou encore le taux d’ensoleillement pour le solaire. L’intermittence des énergies renouvelables est l’une de leurs principales faiblesses, en absence de solution encore satisfaisante pour stocker le surplus en cas de grand vent ou de grand soleil. Pour faire simple, ces énergies ne sont disponibles qu’à la consommation immédiate et demeurent conditionnées aux conditions météorologiques. Les recherches doivent, dans ce domaine, se poursuivre pour qu’elles puissent constituer une alternative viable, cohérente et abordable aux énergies fossiles. Mais, plusieurs solutions existent déjà, comme les stations de transfert d’énergie par pompage ou le stockage par air comprimé.

L’autre solution la plus viable pour une énergie bas carbone est, évidemment, le recours au nucléaire. Un avis globalement partagé par la plupart des experts. Cornel Feruta, directeur général par intérim, de l’Agence internationale de l’Énergie, a ainsi affirmé que « l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre sera difficile à atteindre sans une augmentation significative de l’utilisation de l’énergie nucléaire ». Le GIEC a produit 89 trajectoires pour contenir la hausse de la température globale à 1,5 °C à l’horizon 2100. Le nucléaire est largement inclus dans la grande majorité des différentes trajectoires.

Ingénieur de formation, Jean-François Moreau est un journaliste spécialisé dans les domaines de la transition énergétique et de l’efficacité énergétique des bâtiments. Il collabore avec les magazines spécialisés Filière 3E et Le Moniteur. Il dispense également des formations « RGE » aux entreprises du bâtiment. Dans un passé plus lointain, il a mené des projets sur les process et la logistique pour Ciments Calcia (Italcementi).

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