C’est une petite musique qui monte par-delà les peurs sanitaires et les inquiétudes sur la croissance : avec le virus qui frappe l’ensemble du système économique, c’est un premier pas vers la démondialisation qui serait franchi. Et ceci pour le mieux, affirment les défenseurs de la planète.
La crise du coronavirus est un canevas sur lequel chacun refait le portrait de la mondialisation en fonction de son idéologie. Les libéraux y voient la preuve de l’échec des régimes autoritaires face aux démocraties plus transparents et mieux organisées pour endiguer l’épidémie. A l’extrême-droite, on rêve d’un retour aux frontières. Sur les forums effondristes, on guette fébrilement un signe de fin du monde et on se prépare à affronter le pire.
Autre tonalité chez les écologistes soucieux du réchauffement climatique : le ralentissement de la production et des échanges au niveau mondial entraînerait une baisse des émissions de carbone. Un phénomène d’autant plus souhaitable que ce jeudi marque, en France, le début du « découvert climatique » : le pays a émis en 9 semaines seulement la totalité des gaz à effet de serre autorisés sur un an dans le cadre de l’accord de Paris.
Une poussée de fièvre potentiellement bénéfique pour la planète
Une information, à ce titre, a beaucoup circulé sur les timelines les plus vertes : la consommation chinoise de charbon a baissé de 38 % en février par rapport au même mois de l’année précédente. Or cette source d’énergie extrêmement polluante pèse pour 60% du mix de l’Empire du Milieu. Conclusion : quand l’usine chinoise se grippe, cela fait baisser les émissions de carbone jugées coupables du réchauffement global. Cette poussée anti-productiviste inattendue n’est-elle pas une bonne nouvelle pour la planète ?
Pas si simple. D’abord parce que le ralentissement pourrait n’être que passager, et pousser les entreprises longtemps à l’arrêt à mettre les bouchées doubles pour honorer leurs commandes en retard. En Chine, on reprend peu à peu le chemin des usines, même si c’est parfois pour masquer une inactivité persistante. L’autre raison qui pousse certains à saluer les effets d’une baisse des émissions dans l’usine du monde, c’est qu’on ne mesure pas encore les effets négatifs qu’aurait une « décarbonation » sauvage. A savoir la désorganisation, la pénurie et les désordres potentiellement explosifs que provoquerait une crise durable.
Si tant est qu’elle se produise. Il ne faut pas oublier que le SRAS, lui aussi venu de Chine en 2003, n’avait pratiquement eu aucun effet sur le commerce international. Pour l’heure, les plus hautes instances économiques en sont encore à miser sur un léger ralentissement de la croissance mondiale.
La crise peut accélérer la démondialisation, au moins dans les têtes
Mais même si la production devait repartir de plus belle d’ici quelques semaines, tout ne serait pas perdu. En France, le début de panique provoqué par le virus a ouvert une réflexion sur la dépendance du pays à des chaînes de production complexes et lointaines. La prise de conscience que même les médicaments censés endiguer les maladies sont fabriqués à des milliers de kilomètres n’est pas faite pour rassurer.
Beaucoup, jusqu’à Bruno Le Maire, jugent impératif de relocaliser une partie de la production. On évoque une nouvelle organisation du monde par régions. Le virus agirait alors, rétrospectivement, comme accélérateur d’un mouvement déjà illustré par la guerre commerciale sino-américaine et la résurgence de puissances nationalistes soucieuses de leur indépendance. Un tel mouvement aurait l’avantage, s’il est bien mené, de réduire la facture énergétique du transport des marchandises. Mais on peine à voir, pour le moment, quand et comment se matérialiserait un tel retour des usines. Si réorientation il y a, elle risque d’être lente.
Reste l’impact du phénomène sur les comportements individuels. Comme l’a dit Hervé Gardette dans sa chronique quotidienne sur France Culture, le période offre une occasion rare « d’observer le monde à l’arrêt ». C’est le moment pour chacun, poursuit le chroniqueur, « de faire le tri entre le nécessaire et le superflu, c’est bon pour la transition écologique et pour la lutte contre le réchauffement climatique.» Qu’en sera-t-il dans six mois, si jamais on en vient à parler de récession, de fermetures d’entreprises et d’une hausse du chômage ?
Une chose est sûre, c’est que ces signaux faibles autour de la démondialisation verte sont la confirmation d’un phénomène déjà illustré par la crise des gilets jaunes, née d’une contestation contre la taxe carbone : le fait qu’il est devenu impossible de décorréler l’analyse économique et sociale des préoccupations environnementales.