Pourquoi il est si difficile de prévoir le monde d’après

Pourquoi il est si difficile de prévoir le monde d’après

Les prévisions, a dit Pierre Dac, sont difficiles, surtout quand elles concernent l’avenir. Dans le présent perpétuel du confinement, alors que le redémarrage est dans toutes les têtes, chacun se demande à quoi ressemblera le monde après une expérience aussi radicalement nouvelle.

Radicalement nouvelle, la crise actuelle l’est par de nombreux aspects. C’est la première fois qu’une épidémie se répand de manière aussi fulgurante, en mondovision, avec des effets immédiats sur l’humanité entière. Au point que la période en cours est déjà entrée dans l’Histoire sous le nom de Grand Confinement. C’est la première fois que des gouvernements décident de congeler volontairement l’économie au nom d’impératifs sanitaires. A la différence de ce qui s’est passé en 1929 ou en 2008, et contrairement aux prévisions qui ont eu cours pendant des années sur la « prochaine crise systémique », il s’agit d’un choc économique aux causes exogènes et aux conséquences imprévisibles.

Métamorphoses du monde d’après 

Le sentiment de bouleversement d’échelle cosmique qui a pu s’emparer de certains à la faveur de ce choc a beaucoup à voir avec son traitement médiatique. Pendant deux mois, les Français les plus connectés ont vécu un concours Lépine du « monde d’après ». Les forces idéologiques les plus bruyamment présentes sur les réseaux sociaux ont pu développer leurs thèses in vivo, soit un enfermement dans les frontières nationales, soit une transformation radicale au nom de l’impératif environnemental ou d’une plus grande égalité sociale. On a pu relever des convergences autour d’un certain localisme, traduites par une volonté de raccourcir les chaînes de production. Quant aux plus optimistes (les plus systématiquement raillés), ils tablaient sur un simple trou d’air, se demandant simplement si la reprise suivrait une courbe en V ou en U.

Fin avril, le paysage n’est déjà plus le même. Les semaines écoulées entre sidération et léthargie ont révélé l’extraordinaire imbrication qui caractérise le système économique. L’un des effets les plus marquants de la congélation, selon les bonnes règles de la physique, c’est son effet paralysant sur la liquidité. Même en l’absence de revenus, si l’on veut éviter la catastrophe en chaîne, les salaires doivent être versés, les loyers continuer d’être payés…

Malgré les filets de sécurité et les plans de sauvetage, on commence à comprendre que certains ne s’en relèveront pas. Les prévisionnistes tablent sur une chute de 8 à 10% du PIB et s’attendent à une vague de faillites, avec son lot de situations individuelles dramatiques. A mesure que le confinement révélait ses effets délétères, l’horizon transformateur, qui continue de mobiliser les citoyens les plus idéologiquement engagés, s’est rétréci devant le vertige de l’immédiat.

L’Etat, géant aux pieds d’argile du monde d’après

En France, le pouvoir aura abordé cette crise en plaçant l’impératif sanitaire au-dessus de tout. Les plus fragiles face à la maladie seront protégés « quoi qu’il en coûte », a dit le Président Macron. Face aux conséquences économiques entraînées par la décision de confiner la population (décision potentiellement liée au manque de préparation face au virus, l’histoire reste à écrire), l’Etat s’est posé en ultime garant de la continuité économique. Les dernières semaines auront vu un Etat réputé en faillite déverser sur les ménages et les entreprises des centaines de milliards d’euros, sans que le citoyen fasse la différence entre le versement, le prêt et la garantie.

Une chose est sûre cependant : les difficultés immédiates liées à la crise ont été absorbées par l’Etat, ce qui ne fait que reporter à une date ultérieure les risques de dérapage. Son endettement s’élèvera bientôt à 120% du PIB. De quoi sérieusement grever les capacités de transformation que lui prêtent, à tort ou à raison, les citoyens entretenus dans le mythe d’un Etat tout-puissant. Une situation qui pourrait accroître les risques politiques préexistants. Face à l’aggravation des problèmes du pays et à l’impuissance du gouvernement à les régler, une nouvelle montée des populismes n’est pas à exclure.

Sans aller jusque là, les scénarios de relance qui se dessinent illustrent les difficultés à tenir des engagements apparemment divergents entre l’urgence et le long terme. Faut-il sauver les fleurons de l’aérien et de l’automobile ? Si oui, avec quelles contreparties sociales et environnementales ? Un premier test redoutable pour le « monde d’après ».

Un après qui risque de durer

Officiellement, ce nouveau monde s’ouvrira le 11 mai. Cette date vaut surtout  pour ses vertus psychologiques, presque thérapeutiques. Elle porte la promesse de la fin d’un enfermement devenu insupportable pour beaucoup. Le redémarrage en tant que tel est lourd de questions. A l’image de cette crise, celles-ci portent à la fois sur la production et sur la consommation. Dans quelles conditions sanitaires se fera la reprise du travail ? Sur quels biens et services se portera en priorité la consommation ? Qui aura envie d’un tourisme de masse ? De loisirs en salle et de restauration ? Tant qu’on est dans le « pendant » de l’épidémie, avec la nécessité pour chaque secteur de s’adapter à la circulation du virus, il est difficile de répondre.

Symptomatique de ces atermoiements est la question de l’épargne forcée : plus de 50 milliards non consommés par des Français privés de magasins. Des sommes nécessaires à une reprise efficace, qui risquent de manquer à la consommation et à l’investissement au moment de la reprise. Les Livrets A sont pleins à craquer. Contrairement aux souhaits du gouvernement, beaucoup de Français pourraient être tentés de constituer une épargne de précaution, tant le « monde d’après » s’annonce lourd de menaces.

Eric Fougerolles est un journaliste spécialisé dans le domaine de l’économie et de l’Europe. Diplômé de Sciences Po et en Droit communautaire, il travaille depuis une quinzaine d’années pour divers médias européens. Il est rédacteur pour Confluences.

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