Déconfinement : Un arbitrage entre santé et économie ?

Déconfinement : Un arbitrage entre santé et économie ?

Selon certains observateurs, le déconfinement ferait l’objet d’un arbitrage entre des objectifs sanitaires d’une part et des objectifs économiques d’autre part. En effet, le confinement permet de réduire la propagation du virus et donc le nombre de décès. Mais le confinement a aussi un coût économique. Selon l’OFCE, pendant la période de confinement, le produit intérieur brut de la France est réduit de 32 %. Un mois de confinement réduit ainsi le PIB annuel de la France d’environ 3%. La décision d’Emmanuel Macron de déconfiner le 11 mai, et, surtout, de rouvrir des écoles à cette date a été critiquée : il lui a été reproché de privilégier l’économie par rapport à la santé. Rouvrir les écoles permet aux parents d’aller travailler mais augmente le risque de contamination. Il semble qu’il y ait arbitrage entre économie et santé. Mais cet arbitrage est-il réel ?

L’économie, c’est la santé ?

En défense du déconfinement, on a entendu qu’il n’y avait pas d’arbitrage entre santé et économie car la crise économique est susceptible d’engendrer des décès. L’idée que les crises économiques peuvent avoir des conséquences néfastes en termes de santé semble aller de soi. Il existe en effet un lien clair entre niveau de vie et santé : au niveau international, les pays les plus riches ont une plus grande espérance de vie. Au niveau national, l’espérance de vie dépend également du niveau de vie. En France, chez les hommes, il y a 13 ans d’écart d’espérance de vie entre les plus aisés et les plus modestes : parmi les 5 % les plus aisés, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres.

Pourtant, et de façon contre-intuitive, toutes choses égales par ailleurs, le nombre de décès a tendance à baisser pendant les récessions. Sur données américaines, Ruhm montre que la mortalité est procyclique : elle augmente pendant les périodes de croissance et diminue pendant les récessions pendant lesquelles il y a moins d’accidents, notamment d’accidents de voiture, moins d’homicide, moins de décès par maladie cardiovasculaire. En fait, seuls les suicides augmentent. Ces résultats ont été confirmés par d’autres études en Allemagne, en Espagne et en France. En période de récession, les personnes travaillent moins, ce qui est bon pour la santé (moins d’accidents du travail, moins d’accidents de la route, plus d’activité physique, réduction de la consommation d’alcool et de tabac). Evidemment, ceci ne vaut que si la crise n’est pas durable : dans le long-terme, le lien positif entre niveau de vie et (bonne) santé est le plus important.

Ce qui est bon pour la santé est bon pour l’économie ?

Il existe une autre raison de penser qu’il n’y a pas d’arbitrage entre santé et économie, mais celle-ci plaide au contraire pour des mesures sanitaires strictes. En effet, comment penser que l’économie puisse fonctionner de manière normale si le virus continue à circuler ? Du côté de la consommation, les individus retourneraient-ils au cinéma, au théâtre, dans les cafés, même s’ils étaient ouverts ? Retourneraient-ils travailler s’ils doivent prendre des transports en commun bondés ? Prendront-ils l’avion ? Les étrangers viendront-ils en France ? Aux Etats-Unis, la chute de la consommation a précédé le confinement indiquant que c’est le virus et non pas seulement le confinement qui en est la cause. Du côté de la production, les entreprises doivent assurer la sécurité de leurs employés. La justice vient d’ordonner la fermeture provisoire de l’usine Renault à Sandouville, les mesures de protection étant jugées insuffisantes. De même, Amazon a fermé ses centres de distribution en France, suite à une décision de justice demandant à la firme de procéder à une évaluation des risques professionnels.

Eradiquer le virus

Réduire le coût économique de la maladie implique probablement de l’éradiquer sur le sol français. Ce n’est pas impossible : les chinois et les coréens n’ont plus que quelques nouveaux cas par jour. Il existe trois options pour éradiquer le virus : Réduire le taux de reproduction (R) en dessous de 1 suffisamment longtemps ; atteindre l’immunité de groupe ; développer un vaccin. La meilleure solution est incontestablement le vaccin. Un vaccin serait une bonne nouvelle à la fois pour la santé et l’économie. L’investissement est important et des progrès ont déjà été fait. Certains candidats sont déjà en phase de test. Néanmoins la plupart des experts prédisent que son développement nécessitera encore 12 à 18 mois.

Faut-il espérer l’immunité de groupe ? Si arbitrage il y a entre crise sanitaire et crise économique, il concerne cette stratégie qui consiste en fait à ne rien faire et à attendre que suffisamment d’individus aient contracté le virus et aient guéris pour qu’ils soient immunisés. Du fait de la contagiosité du coronavirus, il faudrait, selon l’institut Pasteur, que 70% de la population ait été infecté pour atteindre l’immunité de groupe. Aujourd’hui, seul 6% de la population aurait été contaminé. L’institut estime également aujourd’hui que le taux de mortalité est de 0,5%. Si le taux de mortalité apparait faible, atteindre l’immunité collective implique 235 000 décès (=67 millions d’habitants*70%*0.5%) selon les estimations actuelles. Lorsque le gouvernement a décidé du confinement, le taux de mortalité estimé était beaucoup plus élevé, autour de 1,5%, ce qui impliquait 3 fois plus de décès en cas de non-action. L’arbitrage est particulièrement morbide ! De fait, plus aucun pays ne dit poursuivre l’immunité de groupe. Boris Johnson a dévoilé la stratégie d’immunité de groupe le 12 mars mais a fait marche arrière le 16 mars et a fermé les écoles le 18 mars. Cela parait court mais comme avant le confinement, le nombre de cas doublait tous les 3 à 4 jours, attendre 6 jours pour réagir implique jusqu’à 4 fois plus de décès à terme (pour un gain nul pour l’économie). Le retour à une telle progression exponentielle du virus aurait certainement pour conséquence un reconfinement strict.

Heureusement, il serait possible d’éradiquer le virus sans vaccin ni immunité collective ni confinement strict, grâce à des mesures de distanciation sociale (gestes barrières, distanciation physique, interdiction des rassemblements, masques, tests afin d’isoler les malades) qui permettent de garder le taux de reproduction du virus en dessous de 1. Si le taux de reproduction reste en dessous de 1, le virus disparait. S’il est supérieur à 1, il s’étend. Là encore il n’y a pas vraiment d’arbitrage entre santé et économie : les deux nécessitent que le virus ne circule pas et donc que le taux de reproduction reste inférieur à 1 (il devrait probablement être mesuré par département).

Face à un processus exponentiel, agir le plus vite possible

A moins d’accepter des centaines de milliers de morts – ce que aucun gouvernement au monde n’a été prêt à risquer – les décisions les plus importantes concernant le coronavirus ne font pas l’objet d’un arbitrage entre économie et santé : face à un processus exponentiel, il est nécessaire d’abaisser le taux de reproduction en dessous de 1. Il est aussi nécessaire de stopper la dynamique exponentielle le plus tôt possible : confiner strictement 7 jours plus tôt aurait permis de réduire le nombre de décès par 4 en réduisant la période de confinement nécessaire, donc sans arbitrage. En effet, Baptiste Coulmont montre que la décroissance du virus (mesurée par le nombre de décès) lors du confinement se fait de façon plus lente que la croissance : plus un pays monte haut, plus il devra attendre pour déconfiner. Il n’y a donc aucun gain, médical ou économique, à attendre pour prendre des mesures abaissant le taux de reproduction en dessous de 1.

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