En même temps qu’il instaurait un confinement généralisé dont on commence tout juste à percevoir les effets sur l’économie, le gouvernement a déployé un système de chômage partiel particulièrement protecteur pour les salariés. Se pose aujourd’hui la question du rythme de son évolution, alors que des effets pervers se font jour.
D’autres crises l’ont prouvé par le passé, notamment celle de 2008 : avec son système social généreux, la France dispose d’un amortisseur à même d’atténuer les effets dévastateurs d’une baisse d’activité pour une large partie des citoyens. Cela dit, les instruments qui évitent à des millions de personnes de basculer difficultés sont souvent ceux qui retardent la reprise. A ce titre, le système de chômage partiel massivement déployé pendant le confinement lié à la crise sanitaire fait aujourd’hui l’objet de critiques.
Certaines étaient déjà audibles au moment où le gouvernement, pour faire passer la pilule de la pétrification économique, a mis en place son système d’indemnisation : 84% du salaire net, portée à 100% au niveau du smic, intégralement remboursés aux employeurs dans la limite de 4,5 smics. « Le dispositif le plus généreux d’Europe » d’après le gouvernement qui, à l’issue du confinement, communiquait sur 12 millions de bénéficiaires. Soit plus de la moitié des salariés, alors qu’en Allemagne, ils étaient seulement un tiers à bénéficier du Kurzarbeit.
A quel rythme assouplir le chômage partiel ?
Pour de nombreux observateurs, le dispositif a provoqué un effet d’aubaine. Certaines entreprises en aurait bénéficié alors qu’elles n’auraient pas dû y prétendre, du moins pas sur la longue durée. Sans parler de celles qui auraient mis leurs salariés en activité partielle en continuant de les faire travaille depuis leur domicile. Quelques noms ont déjà été évoqués, notamment par l’intermédiaire de Mediapart, laissant présager de longues enquêtes de vérification.
Au début du mois, le gouvernement a entamé un assouplissement partiel du dispositif, avec un objectif en tête : la reprise de l’activité. La plupart des représentants syndicaux ont estimé qu’il ne fallait pas aller trop vite en besogne. Le patron du MEDEF a jugé le rythme trop lent. Geoffroy Roux de Bézieux a également estimé que les chiffres communiqués étaient faux : d’après lui, le nombre de salariés au chômage partiel serait en réalité compris entre 6 et 8 milliards, ce qui serait plutôt une bonne nouvelle pour les comptes publics.
Au cours des prochains mois, la décrue devra être envisagée de manière pointilleuse, en gardant un oeil sur les indicateurs économiques. Comme pour chacune des décisions prises depuis le début de la crise sanitaire, le gouvernement est confronté à un défi d’équilibriste : « débrancher » le dispositif trop tôt, c’est mettre en difficulté les entreprises les moins à même de verser des salaires, situation qui risquerait d’envoyer des centaines de milliers de chômeurs partiels vers les services de Pôle Emploi. Le faire trop tard, c’est atténuer le vigueur de la reprise, un certain nombre d’entreprises n’hésitant pas à prolonger le « confort » d’un versement des salaires par l’Etat, le temps de voir venir.
Les effets politiques d’un traitement jugé trop généreux
Situation d’autant plus complexe que le coût du dispositif, déjà colossal, s’accroît de jour en jour. Depuis la mi-mars, le solde de l’assurance-chômage s’est dégradé de 11,5 milliards d’euros, selon l’UNEDIC, alors que le dispositif cheminait sur une trajectoire de rééquilibrage. La dette de l’assurance-chômage devrait selon toute vraisemblance s’envoler du fait de l’arrivée de nouveaux chômeurs, par centaines de milliers, en dépit de la protection temporaire offerte par le gouvernement.
Reste un autre effet pervers tout aussi explosif, sur le plan politique cette fois. Le chômage partiel a été mis en place dans une société multifracturée, où chacun regarde l’autre comme un privilégié en puissance. En nationalisant le versement d’une partie des salaires, le gouvernement a accentué le sentiment d’abandon chez les travailleurs indépendants, qui n’ont bénéficié d’aucune protection similaire alors que leur activité s’est retrouvée asphyxiée.
Aujourd’hui, ce sont eux qu’on trouve en première ligne de la crise économique. Il n’y a qu’à voir les chiffres de faillite des restaurateurs, des autoentrepreneurs, demain des artisans. Autant de publics qui seront en droit de se considérer comme les sacrifiés du confinement, portant les germes d’un mécontentement massif qui pourrait se payer cash dans les urnes.