Reprise en K : ce scénario qui voit les inégalités s’accroître

Reprise en K : ce scénario qui voit les inégalités s’accroître

Alors que le flou demeure sur le volet sanitaire de la crise, les économistes continuent de spéculer sur les effets à terme du nouveau coronavirus. Les scénarios d’une reprise plus ou moins linéaire se complexifient pour laisser entrevoir une situation contrastée selon les secteurs et les catégories de la population.

Aux premiers mois de la pandémie, les experts se disputaient sur la forme que prendrait la courbe de la croissance au lendemain d’une pandémie qu’on voulait croire temporaire. En V pour une reprise aussi vigoureuse que la contraction de l’économie avait été brutale. En U pour marquer le fait que la reprise pourrait être lente. En L pour traduire une longue période de stagnation. En W pour une reprise par à coups, calquée sur les vagues de contagion successives. Un nouveau modèle a fait son apparition en cette rentrée, alors qu’on commençait à entrevoir les effets du confinement : la courbe en K.

Des gagnants et des perdants

Dans ce modèle, la barre verticale du K représenterait l’effondrement général de l’économie, là où chacune de ses branches traduirait deux trajectoires aussi opposées que simultanées : un redécollage immédiat (voire une poursuite sans à-coup) pour certaines entreprises qui continuent d’enregistrer d’excellents résultats ; une chute pour d’autres, qui paient cash les conséquences du virus. Exemple paroxystique : dans un cas Apple, qui a vu sa valorisation boursière doubler dans les six derniers mois ; dans l’autre Airbus, qui a subi une chute annuelle de 45 %. En plus de l’aérien, le textile, l’événementiel ou encore la restauration sont également concernés.

Cette situation pourrait être amenée à durer. Et pas seulement à cause de la pandémie, qui agit davantage comme un accélérateur que comme un perturbateur. Un moment darwinien, diraient ceux qui ne jurent que par l’agilité et la capacité d’adaptation. Le mouvement vers la digitalisation des pratiques est une tendance lourde. Idem pour la nécessité d’évolution du transport aérien, déjà  « challengé », du moins sur un plan théorique, par la montée des préoccupations environnementales.

Mais la pertinence du modèle en K ne saurait s’arrêter à des généralités sectorielles. Chaque pays a ses gagnants et ses perdants en fonction des particularités de son économie et de sa gestion de la crise sanitaire. C’est vrai aussi pour les catégories de la population : jusqu’à présent, les cadres, salariés du public et retraités n’ont pas vu leurs revenus baisser. C’est loin d’être le cas des jeunes, des intérimaires, des auto-entrepreneurs, des petites commerçants.

Et la France ? 

Qu’en est-il de la France, à l’heure où le gouvernement commence à déployer son plan anti-crise ? En fonction des instituts, les prévisions tournent toujours autour d’une baisse de 10% du PIB pour l’année en cours. Invité ce lundi de la matinale de France Culture, l’économiste Christian Saint-Etienne expliquait que ce chiffre devait être pris pour ce qu’il est : une moyenne. Il estimait à 20% environ le nombre d’entreprises qui, malgré la crise, continuaient d’enregistrer des taux de croissance supérieurs à 10%. Ces entreprises, on les trouve essentiellement dans la tech, secteur qui devait poursuivre sa tendance à un fort recrutement. Au fond du panier, sous le ventre mou, on trouverait une proportion équivalente d’entreprises qui font encore pire que les moins 10%. La plupart devraient être extrêmement bousculées dans les mois qui viennent. Certaines n’échapperont pas à la fermeture. Pour l’économiste, l’intervention des pouvoirs publics devra porter sur la reconversion des travailleurs condamnés, notamment par un effort de formation.   

Même son de cloche chez Jean-Pierre Robin. Pour l’éditorialiste du Figaro, la France serait « coupée en deux par le Covid, accélérateur d’inégalités ». A première vue, une sorte de justice immanente voudrait que ce soient les métropoles, honnies par les gilets jaunes, qui aient le plus à souffrir de l’épidémie, avec une promiscuité propice au virus et la menace de reconfinements localisés. Vision trompeuse, dans la mesure où, là aussi, ce sont les cols bleus qui ont le plus à pâtir de la situation, par rapport aux cols blancs plus intégrés à la partie de l’économie qui continue de bien se porter. Sans compter que la spéculation immobilière connaît une nouvelle flambée, de même que les braises, jamais éteintes, de la guerre des générations. De quoi attiser les tensions au sein d’un pays qui, historiquement, tolère moins les inégalités que les autres.

Eric Fougerolles est un journaliste spécialisé dans le domaine de l’économie et de l’Europe. Diplômé de Sciences Po et en Droit communautaire, il travaille depuis une quinzaine d’années pour divers médias européens. Il est rédacteur pour Confluences.

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