Au cœur de la stratégie diplomatique américaine pendant les deux mandats de Barack Obama, le « pivot asiatique » a été quelque peu délaissé sous la présidence de Donald Trump. Les velléités protectionnistes du président républicain, comme ses ressorts psychologiques changeants, ont mis à mal les stratégies d’influence diplomatiques et économiques étasuniennes en Asie. Une brèche dans laquelle s’est engouffrée la Chine pour raffermir ses liens avec de nombreux pays de la région ASEAN et, en premier lieu, la Corée du Sud, historiquement très proche des Occidentaux.
Le partenariat régional économique global : une réponse à la passivité américaine
Si, dans un contexte toujours marqué par l’épidémie de Covid-19, la signature du Partenariat régional économique global (RCEP) n’a pas fait la « Une » de la presse hexagonale, il s’agit tout de même d’une des principales victoires diplomatico-commerciales de la Chine contemporaine. Regroupant une quinzaine de pays de la région, ce traité apparaît comme un coup dur pour les États-Unis et l’Union européenne en Asie du Sud-est. Profitant des années de passivité de l’administration Trump dans la région, la Chine vient en effet tout juste de créer un mastodonte libre-échangiste, couvrant une population de 2 milliards d’individus et regroupant 30 % du PIB mondial. « Elle (la Chine) émerge avec une stratégie de puissance globale, propre à un système interne très particulier, celui d’un Parti communiste ultra-autoritaire, nationaliste et agressif », explique pour Le Monde Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la Recherche stratégique.
La Chine a en effet su habilement profiter de la passivité, sinon de l’hostilité, américaine dans la région, symbolisée par le retrait effectif, en décembre 2018, de l’Accord de partenariat transpacifique, traité volontariste vivant à intégrer plusieurs économies d’Asie Pacifique dans un même espace d’échange, dont Singapour, la Nouvelle-Zélande et le Viêt Nam. Un outil de diplomatie économique, mais aussi d’influence géopolitique, que Donald Trump jugeait « terrible ».
À l’annonce du retrait américain, beaucoup de spécialistes avaient suggéré que la Chine en serait, sans doute, le grand gagnant. « Le traité avait été conçu par Obama avec la volonté d’en écarter Pékin et de contrebalancer sa présence dans la région », affirmait ainsi Mary-Françoise Renard, économiste à l’université Clermont-Auvergne, pour Libération. Même du côté républicain, certaines figures politiques ne s’étaient pas privées de tirer la sonnette d’alarme : « Cela envoie le signal inquiétant d’un désengagement américain dans la région Asie-Pacifique au moment où l’on peut moins se le permettre », prétendait John McCain en janvier 2017.
Parmi la quinzaine de pays signataires du RCEP, qui compte d’anciens membres de l’Accord de partenariat transpacifique, comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou encore Singapour, se trouve aussi la Corée du Sud. Pour la Corée du Sud, une intégration stratégique, qui s’affirme comme la conséquence logique de relations beaucoup plus affirmées entre Séoul et Pékin.
La Corée du Sud poursuit son rapprochement avec la Chine
S’il ne fait guère de doute que la Nouvelle-Zélande ou l’Australie resteront des alliés précieux des Occidentaux, l’avenir des relations entre la Corée du Sud et le « camp occidental » s’assombrit. Si, selon un universitaire, les relations sino-coréennes relevaient, en 2014, d’un « difficile équilibre », malgré les puissants liens économiques unissant les deux puissances, on parle désormais plus souvent d’un processus de normalisation, voire même de « Jours Heureux ». Séoul tente d’ailleurs d’effacer des mémoires collectives les souvenirs encore vivaces de la guerre de Corée en organisant le retour de dizaines de corps de soldats chinois à Pékin, signe d’une amitié réciproque retrouvée. Mais c’est surtout sur le plan économique que le rapprochement entre le géant international et la troisième puissance économique régionale devient révélateur. Jamais les échanges économiques bilatéraux entre les deux pays et les investissements chinois en Corée du Sud n’ont été si importants.
Les rencontres bilatérales se multiplient, alors même que l’agence de presse sud-coréenne Yonhap vient d’annoncer que le ministre chinois des Affaires étrangères Kang Kyung-wha était attendu à Séoul dans les jours à venir pour évoquer des « questions d’intérêt mutuel, y compris les relations bilatérales concernant les échanges de haut niveau et la coopération dans la lutte contre le Covid-19, la situation de la péninsule coréenne et d’autres questions régionales et internationales ». Une rencontre dont la temporalité se superpose à l’élection de Joe Biden à la tête des États-Unis, qui semble témoigner de la volonté de la Chine de prendre les devants et de contrecarrer les éventuelles tentatives américaines de réinvestissement de la zone asiatique. Et, si nécessaire, d’empêcher toute tentative de séduction américaine face à la Corée du Sud…
Le dialogue quadrilatéral pour la sécurité : une réponse géopolitique aux offensives chinoises ?
Face à l’offensive chinoise, un embryon de réaction se dessine, autour du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité, rassemblant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. C’est d’ailleurs le secrétaire d’État Mike Pompeo qui, en octobre dernier, dans le cadre de visites diplomatiques dans la Région, a souhaité remettre au goût du jour cet accord informel créé dans les années 2000, qui n’a jamais eu les effets escomptés, en termes de coopération militaire opérationnelle notamment.
Pourtant, en novembre dernier, les quatre forces navales du Quad ont réalisé des manœuvres communes dans l’océan Indien, rassemblant notamment deux porte-avions, dont l’indien Vikramaditya, fleuron de la flotte indienne. Seul l’avenir — et la clarification de la stratégie de Joe Biden dans la région — dira si cet accord parviendra, à lui seul, à limiter quelque peu l’expansionnisme chinois.