L’Union européenne vient d’entrer dans l’un de ces psychodrames dont elle a le secret. Pour protester contre des menaces de sanction liées au respect de l’Etat de droit, Varsovie et Budapest ont mis leur veto au plan de relance qui doit permettre à l’Europe de soutenir une économie balayée par la crise. Le temps presse pour parvenir à une mise en oeuvre effective début 2021.
C’est un classique dont l’Europe se serait bien passée. Lundi dernier, la Pologne et la Hongrie ont bloqué l’adoption du cadre financier pluriannuel (l’enveloppe budgétaire globale pour les six années à venir) et, surtout, du fonds de relance à 750 milliards d’euros adopté pour aider les pays membres à faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire. En cause, un projet de règlement liant le versement des subventions au respect de l’Etat de droit.
Voilà plusieurs années que ces deux pays, dirigés par des gouvernements aux pratiques souvent qualifiées d’illibérales, soufflent le chaud et le froid avec Bruxelles. Jaroslaw Kaczynski et surtout Viktor Orban, les deux hommes forts à la tête de ces Etats qui ont rejoint l’Union voici quinze ans, sont accusés de remettre en cause plusieurs piliers du pacte démocratique européen : indépendance de la justice, pluralité des médias, respect des minorités.
Leur entêtement leur a déjà valu le déclenchement de procédures pour violation de l’article 7 sur les valeurs fondamentales de l’UE. Une procédure longue et complexe, au point que beaucoup, à Bruxelles, appellent à les sanctionner en tapant là où ça fait mal : au niveau du portefeuille.
La Pologne et la Hongrie prêtes à renoncer au plan de relance au nom de leurs valeurs
Toujours plombées par des décennies d’économie dirigée, la Pologne et la Hongrie comptent en effet parmi les grands bénéficiaires des politiques redistributives européennes. En se disant prêts à sacrifier le plan de relance pour éviter de concéder le moindre pouce de terrain sur le plan des valeurs, leurs gouvernants donnent l’impression de se tirer une balle dans le pied. Un analyste du German Marshall Fund a calculé que si ces pays venaient à être privés du fonds de relance (19 milliards pour la Pologne, 4,3 milliards d’euros pour la Hongrie), « leurs économies se retrouveraient fortement désavantagées à l’échelle de la région».
« VETO ou la mort », a tweeté début novembre le vice-ministre polonais Janusz Kowalski, avec le sens de la nuance et du compromis qui caractérisent les leaders populistes. C’est que le dirigeant polonais, à l’instar de ses homologues hongrois, dit se battre au nom d’une valeur jugée supérieure à l’économie : la sauvegarde de la nation.
Simple coup de bluff ou signe qu’un point de non retour a été atteint ? A ce stade, le double veto hongrois et polonais a été exprimé au niveau d’une réunion d’ambassadeurs. Evoqué lors de l’ouverture du sommet européen de jeudi, le dossier a été éclipsé par la réponse européenne à la crise sanitaire. Il pourrait bien se retrouver à l’ordre du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement des 10 et 11 décembre prochains.
Vers une adoption sans Budapest et Varsovie ?
Beaucoup à Bruxelles parient que les pays récalcitrants finiront par rentrer dans le rang, non sans avoir négocié une rallonge financière. Un scénario pas si évident, dans la mesure où le rééquilibrage se ferait au détriment d’autres Etats membres, dont la part d’un gâteau âprement négocié se trouverait amoindrie.
Mais que se passera-t-il si chacun campe sur ses positions ? En ce qui concerne l’adoption du cadre financier pluriannuel, le cas est prévu : en cas d’absence d’unanimité, l’Union fonctionnera l’an prochain sur les bases de son budget 2020. Mais le fonds de relance, lui, serait bel et bien bloqué.
Reste une possibilité évoquée par les connaisseurs des arcanes européennes : celle de passer outre l’avis des deux récalcitrants en sortant des mécanismes en vigueur. Pour cela, les Etats pressés de voir se déployer le plan de relance pourraient recourir à un accord international excluant les frondeurs. Une solution complexe à laquelle ils ne sauraient recourir qu’en dernier ressort. Côté français, on se dit prêt à cette éventualité. « Je le dis très clairement, a déclaré devant le Sénat Clément Beaune, Secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, la France ne renoncera ni à la relance, ni à ses valeurs. Nous regarderons en dernier ressort comment avancer sans les pays qui bloquent ».