Brexit : qui paiera la note du divorce en cas de no deal ?

Brexit : qui paiera la note du divorce en cas de no deal ?

Dans le feuilleton du divorce entre l’Union européenne et le Royaume Uni, on s’acheminait dimanche dernier vers un no deal. Une absence de compromis qui aurait abouti à une séparation brutale, laissant les deux parties avec quantité de problèmes en suspens. Et puis, nouveau coup de théâtre d’une pièce qui n’en est pas avare : les négociateurs ont décidé de prolonger les discussions au-delà de la date butoir du 13 décembre.

Plus que quinze jours donc, avant le 1er janvier 2021, date à laquelle les relations commerciales entre Londres et Bruxelles seront essentiellement régies par la législation en vigueur dans le cadre de l’OMC. Trois points continuent de poser problème : la pêche, les conditions de concurrence et le mécanisme de règlement des différends. A l’annonce de cet ultime sursis, les négociateurs étaient d’un optimisme mesuré. L’Europe pourrait donc endurer les conséquences d’un no deal qui faisait jusque-là figure de scénario improbable. Déjà, les journaux évoquent les files de camion à l’entrée du tunnel sous la Manche, les résidents britanniques interdits de séjour sur le continent, les entreprises annonçant leur intention de quitter l’Angleterre, les manoeuvres hostiles entre navires de pêche. D’un côté comme de l’autre, on craint les conséquences économiques d’un divorce non réglé.

Les entreprises françaises impactées par un no deal

Vieux débat qui remonte au référendum de 2016. Dans un camp comme dans l’autre, on dessinait deux visions de l’avenir totalement divergents en fonction de ses préférences partisanes. Les opposants au Brexit annonçaient l’apocalypse en cas de sortie. Ses partisans faisaient valoir des lendemains radieux. Le retour de « l’argent de Bruxelles » devait servir à refinancer le système national de santé.  Londres se réinventerait en Singapour-sur-Tamise, et le Royaume Uni en vaste zone franche ouverte au commerce par-delà les mers. Loin de ces visions grandioses ou terrifiantes, on se retrouve aujourd’hui dans une situation éminemment prosaïque, où le coût immédiat d’une séparation se mesure en contraintes logistiques et en points de PIB perdus.

A mesure que se précise le scénario du divorce, les économistes essaient d’en évaluer les conséquences pratiques et financières. A court terme, celles-ci ne sauraient se traduire que par des pertes des deux côtés, mais quand même un peu plus pour Londres. C’est le message qu’on martèle notamment côté français, avec sans doute une part de bluff dans le cadre des négociations qui continuent. Bruno Le Maire estime ainsi à 0,1 point la parte de PIB engendrée par un no deal, le commerce vers le Royaume Uni ne représentant « pas grand-chose au regard du volume commercial global de la France ». La Banque de France, de son côté, estime à 0,2 point de PIB l’impact sur la croissance française en 2021.

Mais il faut voir ce que cela signifie secteur par secteur. D’après Le Parisien, le retour des droits de douane pourrait s’élever à « environ 10 % pour le textile, entre 15 et 20% pour l’agroalimentaire et même 30 % sur le fromage et 12 % pour le vin ». Bercy parle de 10% pour l’automobile. L’assureur Euler Hermes tablait fin octobre sur une baisse de 10% des exportations françaises, soit l’équivalent de la hausse annoncée des droits de douane. Le MEDEF, quant à lui, anticipe un impact immédiat sur 120 000 entreprises qui commercent avec les îles britanniques.

Côté britannique, des effets dilués dans la crise du Covid ?

Si le coût du divorce sera jugé salé ou indolore selon qu’on ait ou non des intérêts marchands de l’autre côté de la Manche, toutes les prévisions s’accordent pour en faire peser l’essentiel du poids sur l’économie britannique. Selon l’étude d’Euler Hermes déjà citée, la perte consécutive à la sortie de l’Union pourrait atteindre 5 points de PIB pour Londres, à quoi il faudrait ajouter une baisse de la livre et une inflation supérieure à 5% pendant au moins six mois.

Mais que valent deux, trois, voire cinq points de croissance en moins quand le PIB britannique est déjà à la dérive ? En juin dernier, avant que la crise sanitaire ne vire au marasme, l’économiste David Collins prévenait déjà : « le scénario du no deal entraînera une contraction économique qui ne sera qu’un petit ajout par rapport au coût astronomique du virus pour l’un des pays européens les plus touchés par la pandémie. »

Côté britannique, beaucoup jugent, à l’instar de Collins, que la sortie de l’Union donnera lieu à de simples soubresauts, largement surmontables dans la durée, et par ailleurs « intégrables » au plan de relance qui suivra nécessairement la fin de la crise sanitaire. Ils continuent de penser que le Royaume Uni restera attractif à moyen terme, voire plus encore qu’il ne l’est aujourd’hui. Et puis il y a un autre type d’analystes : ceux pour qui les ressorts fondamentaux du Brexit sont à chercher en dehors de la rationalité économique. Selon ses défenseurs les plus exaltés, seuls comptent la souveraineté, la fierté retrouvée de « maîtriser son destin » – ou d’en avoir l’impression. Un sentiment qui, pour ceux-là, vaut tous les milliards du monde.   

Eric Fougerolles est un journaliste spécialisé dans le domaine de l’économie et de l’Europe. Diplômé de Sciences Po et en Droit communautaire, il travaille depuis une quinzaine d’années pour divers médias européens. Il est rédacteur pour Confluences.

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