Le feuilleton judiciaire autour de Moukhtar Abliazov vient de connaitre un nouveau rebondissement : en cavale depuis plus d’une décennie, le ressortissant kazakh, accusé d’avoir escroqué la banque BTA à hauteur d’au moins 6 milliards de dollars avant de disparaitre, pourrait voir l’ensemble de ses biens placés sous séquestre. Il n’est pas le seul concerné par cette décision d’un juge londonien, qui frappe aussi des membres de son entourage, dont son gendre, Ilyas Khrapunov.
Casse et cavale du siècle
Le coup de grâce ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, tant l’affaire est hors normes, les recours judiciaires, aux quatre coins du monde et depuis maintenant plus de 10 ans, légion. Il n’empêche : en formulant, le 13 novembre, la demande de gel planétaire de l’ensemble des avoirs du milliardaire Moukhtar Abliazov, la High Court of Justice, Business and Property Courts of England and Wales a sérieusement entamé les chances de voir celui que les autorités kazakhes qualifient de criminel de haut vol s’en sortir en toute impunité. Surtout, cette annonce contrarie le storytelling de l’homme d’affaires, qui s’évertue à se présenter comme un opposant à Noursoultan Nazarbaïev, la victime d’une vendetta aux motivations avant tout politiques.
Les faits, pourtant, sont têtus, et racontent une autre histoire. Président du conseil de la banque kazakhe BTA de 2005 à 2009, il s’y serait adonné à des détournements de fonds dans des proportions industrielles. Lorsque la BTA est mise en faillite en 2009, elle lui réclame la somme de 6 milliards de dollars. Las, Moukhtar Abliazov s’est volatilisé, a posé ses bagages à Londres où il pense trouver asile. Mais la justice anglaise ne l’entend pas de cette oreille. En novembre 2012, elle le condamne à payer 4,6 milliards de dollars de dommages et intérêts au préjudice de la banque BTA, peine assortie de 22 mois de prison pour « outrage à la cour », en raison de ses nombreuses déclarations contradictoires – au sujet de l’étendue véritable de ses biens notamment.
En 2013, la Cour suprême de Grande-Bretagne confirme cette décision, déclarant « difficile d’imaginer qu’une partie à un contentieux commercial puisse agir avec plus de cynisme, d’opportunisme et de fourberie à l’égard des décisions de justice que M. Abliazov ». Désormais rompu à la manœuvre, Moukhtar Abliazov prend de nouveau la fuite. Recherché par Astana, il l’est aussi par Moscou et Kiev, qui l’accusent d’avoir organisé des fraudes massives sur leurs territoires, pour un montant total de plus de 5 milliards de dollars. Atterrissage en France où, Interpol ayant émis une notice rouge le concernant, il est arrêté le 31 juillet 2013, après 18 mois de cavale, en possession d’un passeport diplomatique… centrafricain.
Comment, avec tout ce qui lui est reproché, se fait-il que Moukhtar Abliazov soit, à l’heure actuelle, toujours sur le sol français, et libre de s’y déplacer ? L’explication est simple : jouant à plein sa partition de réfugié politique dans un pays réputé pour sa conception droit-de-l’hommiste de la justice, il a su convaincre la Cour nationale du droit d’asile, a obtenu du Conseil d’Etat, défenseur des libertés publiques, l’annulation de son extradition vers la Russie.
Fin de partie pour Moukhtar Abliazov et Ilyas Khrapunov ?
Début octobre, Moukhtar Abliazov a été mis en examen par un juge d’instruction français saisi par le Parquet de Paris. Un peu plus d’un mois après ce revers judiciaire, l’annonce de la demande de séquestre par un juge londonien de l’ensemble des biens du milliardaire, aux quatre coins du globe, résonne comme un nouveau désaveu. D’autant que cette « Mareva » concerne également les biens que ses proches sont soupçonnés de cacher pour son compte, au premier rang desquels Ilyas Khrapunov, gendre d’Abliazov établi à Genève, héritier d’une autre famille de Kazakhs en exil, également accusés par la banque BTA de malversations.
La traque financière planétaire vise « tous les avoirs détenus sur des comptes ouverts au nom d’Illiyas Khrapunov chez Pictet & Cie ou auprès de toute autre banque suisse mais aussi auprès d’autres établissements à Monaco et au Lichtenstein », selon l’ordre de justice britannique. Elle cible par ailleurs Bulat Utemuratov, autre milliardaire kazakh qui aurait ouvert des comptes à son nom chez UBS et Crédit Suisse à Genève pour y dissimuler une partie de la fortune d’Abliazov.
Suffisant pour mettre un terme, une bonne fois pour toutes, à la cavale dorée d’Abliazov ? Rien n’est moins sûr. Réputé de Londres à Moscou pour le peu de cas qu’il fait des décisions de justice qui lui sont défavorables, l’oligarque devrait par ailleurs pouvoir compter sur le manque de coopération des banques suisses où dort une partie de sa fortune. Ce que synthétise l’un des porte-parole de la banque helvétique Pictet : « La législation empêche [nos] entités suisses de se conformer à des décisions de justice étrangères, comme ces séquestres anglo-saxons du type «mareva», qui ne sont pas reconnus et déclarés exécutoires en Suisse ».
A moins que la Confédération, par la voix de ses autorités, ne décide de s’en mêler ?