La méthode dite de la « coupe rase » s’attire les critiques de mouvements écologistes dénonçant ses méfaits supposés sur les sols, la biodiversité ou le climat. Pourtant, cette technique ne concerne qu’une proportion infinitésimale de la forêt française et permet, là où elle est appliquée, de remplacer des arbres vieillissants ou malades par de nouveaux spécimens assurant la pérennité de la forêt, véritable « puits de carbone ». Tout en valorisant le matériau bois, autrement plus écologique que les matériaux issus de la pétrochimie.
« Aberration écologique », « uniformisation des forêts », « biodiversité en berne », « érosion des sols », « industrialisation de la nature »… : la coupe rase a mauvaise presse. Aussi spectaculaire que décriée, cette méthode de gestion forestière, qui désigne selon l’Inventaire forestier national (IFN) « l’abattage de l’ensemble des arbres d’une parcelle » donnée, cristallise les tensions. En France, elle s’attire ainsi les critiques, de plus en plus récurrentes, virulentes et médiatisées, de la part de nombreuses associations, ONG et personnalités issues de la mouvance écologiste. Dans leur viseur : les dizaines de milliers de forestiers, accusés de défigurer leurs parcelles tout en saccageant des milieux perçus comme les derniers bastions sauvages d’une nature en péril.
Que reprochent ces militants à la technique dite de la coupe rase ? Symbole d’un mode de gestion industrielle de la forêt, la coupe rase choque avant tout par son impact paysager, pour ne pas dire esthétique : là où se dressaient des arbres ne subsiste plus, du moins dans un premier temps, qu’un sol nu. Les coupes rases menaceraient également les écosystèmes locaux, participant au déclin accéléré de la flore et de la faune. Elles contribueraient à l’érosion et, par le passage d’engins motorisés, au tassement des sols. Enfin, les coupes rases favoriseraient l’accélération du réchauffement climatique, en libérant le carbone retenu dans les arbres et le sol, et participeraient, par le remplacement d’essences d’arbres feuillus par des résineux à la croissance plus rapide, à l’uniformisation des forêts françaises.
La coupe rase, une solution face au réchauffement climatique
Autant d’arguments qui, repris par une opinion publique de plus en plus sensible aux problématiques environnementales, sont souvent inexacts et font l’impasse sur l’indispensable contextualisation de cette méthode de gestion de nos forêts. Controversées, les coupes rases ne représentent ainsi que 0,7% de la surface boisée française (soit 95 000 hectares), selon les derniers chiffres publiés par l’IFN. Les images, souvent venues de pays tropicaux, d’immenses étendues dévastées par l’homme, ne traduisent donc pas le mode de gestion de nos forêts. Et pour cause : en France, la surface maximale concernée par une coupe rase ne peut excéder 25 hectares, et même 5 hectares si le terrain en question accuse une pente égale ou supérieure à 30% – un hectare représentant une superficie de 100 mètres sur 100 mètres.
Chaque année, à rebours d’une idée reçue tenace, la forêt française gagne en surface l’équivalent de… 128 000 terrains de foot. En à peine plus d’un siècle, de 1912 à 2016, les surfaces couvertes de forêts ont doublé, passant de 8 millions à 16,5 millions d’hectares, soit près de 30 % du territoire national. A elle seule, la France abrite 10% de toutes les forêts d’Europe, possède une des meilleures biodiversités, et est le quatrième pays le plus boisé du continent après la Suède, la Finlande et l’Espagne.
Le reproche selon lequel les coupes rases « raseraient » la forêt française ne tient donc, d’un strict point de vue quantitatif, pas la route. Et, qualitativement parlant, si une partie des accusations entourant cette méthode ne sont pas dénuées de fondement, elles omettent de mentionner les aspects bénéfiques de ces coupes. Cette technique permet, par exemple, d’abattre des arbres vieillissants, malades, dangereux ou sénescents – c’est-à-dire qui ne disposent plus de la vitalité suffisante pour assurer leur régénération naturelle – pour les remplacer par des spécimens d’une nouvelle génération, de même essence ou non, capables d’assurer la pérennité de la forêt dans son ensemble.
Là aussi, il importe de battre en brèche certaines idées reçues. Il est souvent reproché aux coupes rases de contribuer au réchauffement climatique, l’abattage de vieux arbres libérant le CO2 séquestré dans leurs branches, leurs feuilles ou le sol, et les jeunes arbres qui leur succéderont n’offrant pas les mêmes performances en termes de captation du carbone. Les faits, pourtant, sont têtus, et disent autre chose : lorsqu’un arbre est prélevé, l’essentiel du carbone capté durant sa vie demeure stocké dans les produits transformés (charpente, ossature, meuble, emballage, palette, etc.) En outre, une forêt en croissance captera plus de CO2 qu’une forêt vieillissante, les arbres mourant de façon naturelle libérant tout le CO2 qu’ils retenaient. Ainsi, une étude publiée le mercredi 4 mars 2020 dans la revue Nature par les chercheurs du Musée royal de l’Afrique centrale et de l’Université de Leeds montre que la forêt amazonienne, non exploitée de façon durable, est devenue émettrice de CO2 depuis 1995, à cause de la forte augmentation de la mortalité naturelle des arbres, sans doute en lien avec le réchauffement climatique.
C’est pour éviter ce scénario que l’Office national des forêts (ONF) intervient, par exemple, dans la forêt domaniale de Bois d’Arcy (Yvelines), où des coupes rases permettent de faire succéder de jeunes chênes, alisiers, pommiers et poiriers sauvages aux châtaigniers affectés par la « maladie de l’encre » : un champignon dont la propagation est accélérée par le réchauffement climatique et qui s’attaque à leur système racinaire et entraîne, en l’absence de traitement connu, leur dépérissement progressif. Autrement dit, « les coupes (rases) peuvent favoriser l’installation de peuplements (d’arbres) plus résistants au changement climatique », assure dans une tribune au Monde le directeur général de l’ONF, Bertrand Munch.
Le bois, une chance pour notre planète
Autre reproche couramment adressé aux coupes rases : celles-ci contribueraient à remplacer des feuillus centenaires par des résineux mieux adaptés aux usages industriels – les fameux pins « Douglas ». Ici encore, la nuance s’impose. « Les inquiétudes sur l’enrésinement des forêts sont anciennes », concède Bertrand Munch, selon qui pourtant « les statistiques sont claires. Ces 25 dernières années, la forêt domaniale a vu augmenter la proportion de feuillus de 62% à 65%. Les essences feuillues, très majoritaires, ont donc progressé pendant que les résineux régressaient ». CQFD. Un constat qui va à l’encontre de certaines idées reçues relayées, souvent en toute bonne foi, par d’auto-proclamés « défenseurs de la forêt ».
Enfin et surtout, il ne faut pas oublier la finalité d’une coupe rase : récolter du bois. Le bois, qui permet de remplacer beaucoup de matériaux fortement émetteurs de CO2 dans la construction, comme le plastique, le ciment ou l’acier. « C’est la chance de notre planète », écrivent Michel Druilhe et Guillaume Poitrinal, respectivement président de France Bois Forêt et cofondateur de Woodeum, qui dans une tribune aux Echos entendent répondre aux tenants d’une « idéologie qui va à l’encontre de la cause qu’elle veut défendre ». « Une coupe en forêt, ça choque quand on ne comprend pas », explique-t-on du côté de France Bois Forêt, où l’on estime que si « la biodiversité terrestre se retrouve majoritairement en forêt c’est bien parce que les sylviculteurs ont su maintenir et renouveler leurs massifs de génération en génération ». Condamnant une « écologie punitive et violente », l’interprofession appelle donc à créer les conditions d’un vrai dialogue, débarrassé des clichés et fausses idées véhiculés par les promoteurs d’une conception de la nature aussi fantasmée que déconnectée de l’intérêt général.