Fessenheim : histoire d’un double assassinat politique

Fessenheim : histoire d’un double assassinat politique

Fessenheim, petit village du bord du Rhin, a connu un tournant industriel avec la construction après-guerre du canal d’Alsace et son usine hydroélectrique mise en service en 1956. Fessenheim a donc une tradition énergétique vieille de 65 ans. Mais c’est à la fin des années 60 qu’un tournant a eu lieu, avec le projet de construction de deux réacteurs nucléaires de 900MW. La commune a été retenue car le débit du Rhin permet de refroidir 2 réacteurs sans avoir recours à des tours de refroidissements, ce qui constitue encore à ce jour, un cas de figure unique (sur un cours d’eau).

En 1978, le premier réacteur de la centrale a pu être mis en service. Cette nouvelle activité a permis à la commune de développer des infrastructures : une piscine, puis un complexe sportif, des écoles, crèche et périscolaire, médiathèque, des commerces dont une grande surface qui valorise le circuit court. De plus, l’osmose permise par le partage des richesses avec les autres communes (60% de la recette fiscale de Fessenheim était reversée à l’ensemble des communes du département) a permis un développement homogène du territoire.

Initialement, l’État prévoyait de construire quatre centrales le long du Rhin, mais en définitive, seules deux ont vu le jour. Les deux autres ont été sacrifiées sur l’autel des relations franco-allemandes dans les années 80. Pour autant, Fessenheim est un projet tri-national : environs un tiers des parts étaient détenus par des investisseurs étrangers, qui ont participé à sa construction (17.5% par l’énergéticien allemand EnBW, et 15% appartenant à un consortium d’énergéticiens suisses). Ces derniers bénéficient en retour d’une part de la production de la centrale égale à la part des capitaux qu’ils détiennent – ainsi Fessenheim alimentait en partie l’Allemagne voisine jusqu’à sa fermeture en 2020.

Vivre à proximité d’une centrale

Le bilan des 42 années d’activité de la centrale est sans appel. Tout d’abord, la centrale était responsable d’un impact environnemental extrêmement faible. Elle a produit une moyenne de 10TwH par an pour une emprise foncière de quelques hectares. Ses émissions de CO2 sont parmi les plus vertueuses de toutes les sources d’énergie (12 g de CO2 par kWh, pour 24 pour l’hydraulique, entre 41 et 48 pour le solaire et 11 pour l’éolien) et pratiquement toutes dues à « l’énergie grise » utilisée pour construire la centrale, extraire et enrichir l’uranium… Sans compter que 40 années d’études ont permis d’établir que la centrale ne produisait aucun impact sanitaire – jamais son empreinte n’a dépassé le taux de radiation naturel.

La filière nucléaire a bien connu des accidents tragiques – on connait tous Tchernobyl et Fukushima. Ces deux exemples sont toutefois hors-sujet en ce qui concerne Fessenheim, ne s’agissant pas du même modèle de centrales (les technologies utilisées et la construction elle-même sont différentes). Fessenheim abritait en effet deux réacteurs à eau pressurisée (REP). Ces derniers ont bien donné lieu à un incident majeur en 1979, dans la centrale de Three Mile Island, en Pennsylvanie (États-Unis).  Malgré la gravité critique de la crise (la fusion du cœur d’un réacteur est l’accident le plus grave qui puisse se produire dans une centrale, rendant le réacteur inutilisable), l’enceinte de confinement est restée intègre et les radiations ont été contenues, attestant de la qualité de ces installations. Les leçons de ces accidents ont par ailleurs permis de considérablement renforcer la sûreté de nos centrales, et les REP n’ont pas connu de défaillances sérieuses depuis.

En France, cette sureté est supervisée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dont la vigilance est exemplaire. En une cinquantaine d’années de fonctionnement, avec pas moins de 58 réacteurs actifs en France, pas un seul accident n’est à déplorer. Quel autre secteur peut se vanter d’un tel bilan ? Pour le cas de Fessenheim, les marges de sécurité tenaient compte du séisme le plus fort de la région (qui a eu lieu au 14ème siècle !) et ont été augmentées régulièrement. Force est pourtant de constater que la totale transparence du secteur l’a desservi : le moindre incident mineur (pompe qui vibre, transformateur qui surchauffe…), courant dans n’importe quelle industrie, est déclaré. Aussi, cela donne l’impression d’incidents à répétition, alors qu’il s’agit simplement de transparence. Malheureusement, les autres industries ne suivent pas la même démarche, ce qui aurait le mérite de montrer à quel point nos installations sont performantes.

Un assassinat politique

Si la centrale de Fessenheim était écologique, qu’elle ne présentait pas de risque sanitaire avéré, qu’elle n’avait pas connu d’accident et qu’elle a permis l’essor économique et culturel du territoire, pourquoi l’a-t-on fermée ? La réponse est politique : les accords électoraux entre le PS et les Verts en vue des élections présidentielles de 2012 ont donné lieu à des concessions, qui ont abouti à la fermeture de la centrale après 42 années de fonctionnement – un non-sens pour un outil industriel de ce niveau-là ! Et ce d’autant qu’il s’agissait d’une des centrales les mieux entretenues d’après les derniers rapports de sécurité de l’ASN (une réussite que j’aime attribuer à l’esprit alsacien).

Aussi, il est impossible de voir dans cette fermeture autre chose qu’un assassinat politique, d’autant plus irresponsable qu’aucune transition n’avait été prévue. Il est bien question d’ouvrir un technocentre de recyclage de métaux faiblement radioactifs à Fessenheim, mais la décision d’implantation n’aura pas lieu avant 2023, et sa mise en service pas avant 2030 – soit dix ans après la fermeture de la centrale. Il aurait été bien plus avisé de prolonger son activité pendant cette période afin de développer le nouveau site, et de maintenir la production jusqu’à ce que l’EPR de Flamanville, censé prendre le relai de Fessenheim, soit opérationnel. RTE a confirmé l’utilité de cette centrale pour maintenir la sécurité d’approvisionnement française, ajoutant que les productions de l’éolien et du photovoltaïque sont encore aujourd’hui trop aléatoires pour occuper ce rôle.

Double peine

Au contraire, rien n’a été anticipé (1000 emplois directs vont disparaitre dans une commune de 2400 habitants !) et il faudra entre 10 et 20 ans pour recréer emplois et fiscalité perdus. Heureusement, Fessenheim se situe dans un bassin de vie globalement dynamique, entre Mulhouse, Colmar et Fribourg-en-Brisgau (Allemagne). En outre, elle n’a pas perdu toute son attractivité : notre petite commune rurale bénéficie en effet d’infrastructures et de services similaires à ceux d’une petite ville grâce, justement, au réinvestissement des mannes fiscales du nucléaire. La municipalité et son intercommunalité vont cependant devoir créer des zones d’activités pour implanter de nouvelles entreprises afin de réindustrialiser leur territoire.

L’Etat, pour sa part, n’a qu’un seul rôle à jouer : accorder une fiscalité adéquate à cette transition. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : 1.9M€  doivent toujours être reversés du fait de la contribution FNGIR (Fonds national de garantie individuelle des ressources) fruit de la réforme de la taxe professionnelle, une mesure qui n’a plus aucun sens sans les apports de la centrale. Une double peine pour un territoire déjà lourdement impacté par la fermeture de sa centrale, et dont la fiscalité punitive coûtera davantage que ce qu’elle a pu rapporter durant sa période d’exploitation.

1 commentaire

  1. GEGE42Répondre

    Un parfait exemple des limites de la démocratie capable du meilleur comme du pire, pour Fessenheim ce fût le pire. Pour autant je reste démocrate n’ayant pas trouver un meilleur modèle. Alexis de Toqueville, De la Démocratie en Amérique, écrit en 1834, montrait avec pertinence les risques de la politique à brève échéance qu’impose l’élection.
    Le plus déplorable dans tout ça, en dehors des conséquences que vous avez parfaitement décrites, c’est que les partis politiques et leurs représentants, en l’occurrence dans ce cas de figure le PS (Martine Aubry, François Hollande…) et les verts (Cécile Duflot..), laissent croire qu’il s’agit d’un choix judicieux et raisonné alors qu’il ne s’agissait que d’un choix de pure stratégie électoraliste. Qu’importe les conséquences pour l’enjeu majeur énergétique de la France, ils jouent à la politique. Le même scénario s’était déjà déroulé en 1997 avec le gouvernement Jospin (PS) qui avait signé un accord avec Dominique Voynet (Les Verts) pour fermer Super Phénix, je vous le dis, un simple jeu politique. Tant pis pour l’abandon d’une expérience industrielle sans précédant qui pouvait conduire à une avancée technologique et énergétique considérable: produire de l’électricité tout en brûlant des déchets nucléaires. Bof, on pourra toujours brûler du gaz russe (?) .

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