La diplomatie économique, un soutien stratégique aux investissements français à l’étranger

La diplomatie économique, un soutien stratégique aux investissements français à l’étranger

La mort de Carlos Menem, chef de l’État argentin de 1989 à 1999, est venue rappeler qu’il fut l’initiateur de la politique économique ultralibérale considérée en grande partie comme à l’origine de la crise financière qui ébranla le pays en 2001. Les conséquences de cette crise se font encore sentir sur les entreprises étrangères, notamment françaises, qui ont vu péricliter la valeur de leurs investissements. La SAUR a ainsi obtenu après de nombreuses années de procédure d’arbitrage que l’Argentine soit condamnée à payer une compensation en réparation du préjudice subi par ses investissements. Pourtant, des années après les faits, l’Argentine refuse encore de payer. Face au risque qu’une telle attitude fait peser sur les investissements français en Argentine, la diplomatie économique pourrait faire figure de soutien stratégique. 

 

CMS, SAUR…L’étonnante attitude de l’Argentine face aux investissements étrangers

 

Une vague de privatisation dans les années 1990 avait d’abord conduit l’Argentine à se tourner massivement vers les investisseurs étrangers. La crise économique et sociale du début des années 2000 a tout changé : après une loi d’urgence économique, la dévaluation de la monnaie nationale a vu de nombreuses entreprises constater la perte de rentabilité de leurs investissements, en particulier dans les secteurs de l’eau, de l’électricité et du gaz. Les traités bilatéraux comportant souvent une clause permettant de régler les différends entre États et investisseurs par une procédure d’arbitrage devant le CIRDI (Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements), l’Argentine a été condamnée à de multiples reprises à verser des compensations aux entreprises qui s’estimaient lésées dans leur investissement initial. On peut songer à l’affaire CMS contre Argentine. Cet investisseur américain avait acheté des actions dans la Tansportadora de Gaz de Norte (TGN), entreprise argentine spécialisée dans le transport de gaz, jusqu’à en posséder près de 30% en 1995. Les mesures prises en 2001 par le gouvernement argentin ayant conduit à une dévalorisation de l’investissement de CMS, celui-ci a formulé une requête en vertu du traité bilatéral d’investissement conclu et ratifié par les États-Unis et la République Argentine. La SAUR, entreprise française spécialisée dans la production et la distribution d’eau potable, a subi le même destin dans la province de Mendoza, considérant ces mesures comme une expropriation indirecte, entraînant « une perte de valeur de son investissement et de toute perspective de rentabilité par suite de certaines actions et omissions des autorités argentines qui contreviendraient aux engagements pris dans le Traité Bilatéral ». Ces deux affaires ne représentent pas des cas isolés. Un rapport d’information de la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, consacré au règlement des différends Investisseurs États dans les accords internationaux (RDIE) relevait en 2016 qu’«au total, 37 plaintes ont été déposées à la suite de ladite loi, portant le total des différends impliquant l’Argentine à 53. »

Après de longues procédures contentieuses, le CIRDI a donc rendu plusieurs conclusions condamnant l’Argentine à verser des compensations : en 2005, ce sont 133,2 millions de dollars que l’État argentin a été condamné à verser à CMS. En 2016, une procédure en annulation n’aura pas suffi à l’Argentine pour éviter une amende de 40 millions de dollars à verser à la SAUR. Reconnaissance du préjudice porté aux investisseurs ? Succès d’un mécanisme international chargé d’arbitrer les différends entre États et investisseurs ? En théorie seulement. Car l’Argentine s’est fait une spécialité de refuser de payer les compensations que les résultats de l’arbitrage lui imposent pourtant. Et des années après les faits, nombreux sont les investisseurs qui s’estiment lésés par cette attitude de l’Argentine, qui « non seulement demande systématiquement la nullité des sentences arbitrales prononcées à son encontre » mais « refuse de les exécuter en cas de rejet de son recours », précise le rapport parlementaire précité.

Une attitude ambigüe qui fait planer une menace sur les investissements français

 

Ce mécanisme de RDIE, l’Argentine l’avait pourtant accepté, en signant le 3 mars 1993 un accord bilatéral de protection des investissements avec la France. Quant au CIRDI, elle a également ratifié la Convention de Washington, qui en régit le fonctionnement en s’appuyant sur le consentement des États qui y sont parties. En ne se pliant pas aux conclusions des arbitrages rendus par le CIRDI, l’Argentine vide ces traités de leur substance. Mais contrairement à la Bolivie, qui a dénoncé en 2013 le traité bilatéral qui l’unissait à la France, l’Argentine reste dans les traités, mais ne les applique pas. Serait-ce une façon de s’assurer un flux constant d’investissements étrangers, et notamment français ? L’Argentine demeure le 4e récipiendaire des investissements directs à l’étranger français en Amérique latine. Mais cette attitude ambigüe fait courir un risque aux investisseurs français, d’autant que les démons du passé n’en ont pas fini de tourmenter l’Argentine. Le ministre de l’Économie argentin, Martin Guzman, évoquait fin 2020 la situation délicate du pays : « La pandémie a porté un coup très dur à l’économie mondiale, mais surtout à l’Argentine, qui vivait déjà une crise ». Face à ce que Le Monde qualifiait en 2020 de « pire crise du pays depuis 2001 », quelles garanties peuvent espérer les investisseurs ?

Dans un contexte dangereux pour les investissements, du fait d’une situation géopolitique mondiale de plus en plus tendue et des conséquences économiques de la crise sanitaire, investir en Argentine semble un double défi pour les entreprises françaises. En cas de perte de rentabilité et de conflit avec l’État accueillant, il faudrait prendre le risque de se lancer dans une procédure d’arbitrage coûteuse, à l’issue d’autant plus incertaine que l’Argentine a montré par le passé qu’elle n’était pas disposée à payer. Les investissements français à l’étranger sont pourtant essentiels, en ce qu’ils permettent « d’accéder à des marchés étrangers, de réduire le coût des facteurs de production, de s’assurer l’accès à des ressources déterminantes, d’acquérir de nouvelles technologies et d’apporter un soutien accru à des clients étrangers », rappelle le site France Diplomatie. L’importance des IDE est même devenue une spécificité française. Laurent Burelle, PDG de Plastic Omnium et président de l’Afep (Association française des entreprises privées) rappelait en 2019 dans Les Échos qu’en France, « la conquête de marchés a pris la forme d’investissements directs à l’étranger plutôt que d’exportations ». A tel point qu’en 2018, les dividendes tirés des IDE et rapatriés en France représentaient 54 milliards d’euros. La protection des IDE est donc plus que jamais une « question stratégique » pour la France.

La diplomatie économique, une nécessité stratégique

 

En refusant de se conformer aux conclusions des arbitrages du CIRDI, l’Argentine met en péril un système international régissant les différends entre États et investisseurs. C’est l’ensemble des traités bilatéraux signés par la France qui sont fragilisés par une telle attitude. La France n’est pourtant pas impuissante et ne manque pas d’armes pour voler au secours des investissements directs à l’étranger. A commencer par le droit international, qui lui permet d’apporter un soutien diplomatique aux entreprises victimes d’un préjudice. L’article 27 de la convention du CIRDI dispose en effet qu’« aucun État contractant n’accorde la protection diplomatique ou ne formule de revendication internationale au sujet d’un différend (…) sauf si l’autre État contractant ne se conforme pas à la sentence rendue à l’occasion du différend ». Dans le cas du refus de paiement par l’Argentine, la France est donc fondée à user de son pouvoir diplomatique pour défendre les entreprises françaises. Diplomatie et commerce extérieur sont d’ailleurs particulièrement liés en France, au point qu’en 2014, la responsabilité du commerce extérieur est passée du Ministère de l’Économie à celui des Affaires étrangères. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, avait fait valoir à l’époque le concept de « diplomatie économique ». Frank Riester, ministre du Commerce extérieur et de l’attractivité, appelait fin janvier 2021 à « des relations commerciales équilibrées » avec les grands partenaires de l’Union européenne et de la France : « Les États-Unis et la Chine doivent respecter la souveraineté de l’Europe », soulignait-il dans l’Opinion. Mais c’est aussi en défendant les investisseurs français à l’étranger que la France défendra sa souveraineté et renforcera sa diplomatie économique.

Dans cette perspective, appeler l’Argentine à payer les compensations dues aux entreprises lésées enverrait un signal fort aux investisseurs actuels et futurs, en Argentine et ailleurs. Le contexte économique mondial demeure en effet morose, et la crise sanitaire devrait faire chuter les investissements directs à l’étrangers de 30 à 40% en 2021, selon la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED). En attendant une reprise espérée en 2022, la France aurait donc tout à perdre à ne pas faire oeuvre de diplomatie économique pour soutenir les entreprises qui prennent le risque d’investir à l’étranger. Il en va de sa santé économique, et de sa crédibilité internationale.

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