Nouveau produit, nouveau marché. Rejeton de la technologie blockchain, un nouveau type de biens, les non-fungible token (NFT), attire un nombre grandissant de consommateurs. Un engouement qui témoigne, au-delà de l’effet de mode, d’évolutions sociétales significatives.
Depuis plusieurs semaines, les NFT défrayent la chronique. Vu des centaines de millions de fois en ligne depuis sa création, le célèbre mème Nyan Cat, un chat sur un arc-en-ciel, s’est vendu aux enchères près de 580 000$. Un clip d’une dizaine de secondes montrant une action spectaculaire du basketteur Lebron James est parti, lui, à environ 200 000$. Et début février, la célébrité Mark Cuban vendait un tweet pour 952$ tandis que Lindsay Lohan troquait son portrait numérique pour plus de 10 000$.
Une technologie qui change la donne
Pourquoi donc dépenser autant pour des clips ou images facilement trouvables en ligne, sur Google ou Youtube ? Le désir de posséder « l’original ». La technologie très pointue de la blockchain permet en effet aujourd’hui de créer, de sécuriser et d’authentifier des supports virtuels comme uniques, donc non reproductibles. Leur nom : NFT. Une petite révolution, sachant que les formes digitales étaient jusque-là surtout de simples lignes de codes, facilement copiées, partagées et piratées. Pourtant, généralement, les acheteurs n’acquièrent même pas les droits d’auteur, d’images ou même la propriété exclusive de chaque NFT, seulement ce fameux exemplaire labellisé « copie officielle ».
Face à la forte médiatisation des ventes spectaculaires de NFT, il serait tentant de moquer et de voir le phénomène comme une exubérance des marchés et un simple mimétisme. Mais les réactions contrastées suscitées par ce phénomène sont surtout le signe d’une fracture générationelle, politique et technologique : entre celles et ceux, souvent digital natives, qui veulent donner une valeur au digital, et les autres.
Les NTS marquent en effet une étape importante dans notre rapport au monde numérique. Elles entérinent l’idée selon laquelle internet n’est définitivement plus l’arrière-chambre du réel, un lieu de flux peuplé de copies, mais aussi le siège de formes spécifiques et sacralisées. Car les NTF dévoilent au grand jour une toute nouvelle facette du numérique. Toutes les productions digitales (artistiques, comme des vidéos, œuvres d’art…), généralement dépréciées car facilement copiées, sont désormais capables de se parer d’une forme d’exclusivité et donc d’une valeur marchande, potentiellement élevée.
Un nouvel eldorado ?
Les NFT ont donc un impact tout particulier dans le monde de l’art, du jeu vidéo ou encore du sport. Les artistes digitaux, par exemple, peinent historiquement à vendre leur créations numériques ou numérisées : la technologie de la blockchain, en les rendant uniques, va changer la donne en les rendant plus attractives.
Certains NTF se vendent par ailleurs à des prix très raisonnables. C’est le cas des CryptoKitties, un jeu monétisé en Ethereum, à la popularité grandissante et dans lequel il s’agit d’acheter des chats digitaux et de les faire évoluer. Aujourd’hui, un crypto-chat très basique vaut 6$. Les plus complexes peuvent cependant atteindre des centaines de milliers.
Certes, comme tous les modes internet médiatisés, l’excitation autour des NFT pourrait s’éteindre. Le cours des crypto-monnaies pourraient chuter à nouveau. Néanmoins, si ces artefacts « authentiques » font sûrement l’objet d’une bulle spéculative, ils vont pourtant s’inscrire durablement dans le paysage, comme ce fut le cas des cartes à collecter lors de leur création. En outre, les développements futurs vont sans aucun doute donner aux NFT de nouvelles formes. « On assiste à la naissance d’une tout nouvelle culture visant à acheter des actifs nés sur l’internet », affirme un collectionneur dans le New York Times, « C’est quelque chose de très émotionnel ».
Un actif spéculatif, mais surtout culturel
Les produits digitaux à collecter ont des vocations diverses : ils sont un moyen de spéculer ou plus simplement de se divertir, de former une collection.…Nyan Cat, ce chat arc-en-ciel iconique, appartient à cette dernière catégorie. Son propriétaire est aujourd’hui détenteur d’une partie du patrimoine digital. Les NFT semblent en effet ouvrir la voie non seulement à un nouveau marché mais aussi à une patrimonialisation accrue de la culture numérique. Le site de vente spécialisé de Fondation a d’ailleurs vendu une vidéo réalisée en 2012 et montrant New York la nuit. Pourquoi ? Pour sa valeur historique : il s’agit d’une des premières vidéos publiées sur le réseau Vine.
Les NFT illustrent également la nature de plus en plus sociale de l’investissement. Professeur à l’Université de Californie, David Hirshleifer souligne depuis plusieurs années la nécessité de passer d’une « finance comportementale » à une « finance sociale ». Pour lui, la spéculation est une façon pour les investisseurs non seulement de générer du profit, mais aussi et surtout de créer du lien social en partageant une culture et des intérêts communs. Ce postulat s’applique particulièrement aux NFT : en posséder, c’est se forger une identité, appartenir à une communauté.