Légaliser le commerce de marijuana pourrait donner un coup de fouet à la croissance et renflouer les caisses de l’État. Les français semblent, qui plus est, y être majoritairement favorables.
Fin mars, le ministre de la santé Olivier Véran annonçait le lancement des premières expérimentations relatives au cannabis en France. Dans les deux années à venir, 3000 patients seront ainsi suivis pour évaluer « la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition du cannabis à usage médical en France », selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Ce dispositif n’est pas sans contradictions à l’heure où la consommation et la vente de marijuana demeurent illégales en France. Les entreprises françaises n’ont donc pas été retenues par l’appel d’offres déterminant les fournisseurs de cannabis thérapeutique de cette expérimentation ; ce sont des multinationales étrangères qui vont approvisionner les centres de soins en médicaments à base de cannabis.
Le marché français à conquérir
Le développement d’une filière française de marijuana est donc encore ralenti. Et en attendant, les entreprises françaises accumulent un retard significatif par rapport aux multinationales étrangères – canadiennes, australiennes ou encore israéliennes – prêtes à conquérir le marché français dès la légalisation, celle-ci étant a priori inévitable à long terme.
D’après l’Expert Market Research, le cannabis médical pèse environ 13 milliards d’euros dans l’économie mondiale en 2020. Un chiffre qui devrait augmenter de 23% d’ici 2026….
L’initiative française reste cependant une bonne nouvelle. Elle est le signe que les lignes commencent sérieusement à bouger. La légalisation à des fins récréatives se heurte elle encore à de solides résistances chez les élus, mais en 2019, le Conseil d’analyse économique (CAE), en charge de conseiller le Premier Ministre, relançait les débats en préconisant clairement une légalisation récréative et encadrée par l’État.
Une aubaine économique
Il faut dire que la vente de cannabis représente une aubaine économique. La France est l’un de ses plus gros consommateurs en Europe avec ses 17 millions d’expérimentateurs et 5 millions d’usagers. Le marché noir représenterait ainsi pas moins de 810 millions et 1,4 milliard d’euros. Et en 2014, le cercle de réflexion Terra Nova estimait le montant des recettes fiscales engendrées par une légalisation à 1,3 milliards dans le cadre d’un monopole public. Dans un cadre concurrentiel, elles pourraient s’élever à 1,7milliard d’euros.
Les sommes, considérables, représentent un vrai gâchis financier si on part du principe que la consommation de cannabis ne pourra jamais être enrayée, que la vente illégale engorge les tribunaux et entretient les inégalités. Les condamnations liées au cannabis touchent en effet davantage les populations pauvres et racisés.
Alors que le gouvernement tente de relancer l’économie dans un contexte de crise sanitaire et cherche à capter de nouvelles recettes, la prohibition du cannabis semble ainsi imprudente, d’autant plus que la majorité des français sont en faveur d’une légalisation totale. Orchestrée au début de l’année par l’Assemblée nationale, une consultation citoyenne a été engagée à ce sujet et a souligné que près de 80% des interrogés étaient en faveur d’une dépénalisation récréative.
Des recettes fiscales conséquentes
Aujourd’hui, cependant, les pays autorisant la vente de cannabis restent minoritaires. L’Allemagne, la Turquie, la Grèce, l’Ukraine ou encore l’Argentine autorisent seulement un usage thérapeutique. L’Uruguay est le premier pays à légaliser la vente et la consommation récréative d’herbe en 2013. Il est suivi par le Canada en 2018, et par plusieurs États américains comme le Dakota du Sud, le Colorado, le New Jersey, d’Arizona et, cette année, l’État de New York.
Spécialiste du commerce du cannabis, Kris Krane soutient dans Forbes que la légalisation du cannabis sur tout le territoire étasunien serait « la clé de la reprise économique, tout comme la fin de la prohibition de l’alcool » a aidé son pays « à sortir de la grande dépression ». En plus de faire baisser la criminalité, la violence et les disparités sociales, l’ouverture de ce nouveau marché génèrerait en effet forcément, soutient-il, une augmentation des recettes fiscales, de nouvelles opportunités d’investissement et une croissance de l’emploi.
Dans les États ayant autorisé le commerce d’herbe, l’impact économique fut en effet non négligeable. L’État de Washington a légalisé la marijuana à des fins récréatives en 2012 et a déclaré 395,5 millions de dollars de recettes en 2019, soit 172 millions de dollars de plus que les ventes d’alcool. En Californie, l’industrie du cannabis a rapporté un total de 845,3 millions de dollars de recettes fiscales au troisième trimestre 2019.
Un marché balbutiant
Les revenus provenant du commerce du cannabis permettent aux États de financer de nouveaux programmes : infrastructures scolaires, santé, protection de l’environnement…. L’État de Washington a par exemple utilisé ses 314,8 millions d’euros de recettes afin de fournir une assurance maladie à ses résidents les plus pauvres.
Aujourd’hui, la vielle garde anti-cannabis ne manque pas de souligner le prétendu « échec de la légalisation » dans les pays concernés. En effet, les recettes fiscales escomptées n’ont pas parfois pas été à la hauteur des prévisions même si elles demeurent extrêmement importantes. Une bulle financière s’est par ailleurs formée autour de ce nouveau marché. Les investisseurs ont eu les yeux plus gros que le ventre en planifiant sur une hausse de la consommation qui ne s’est pas produite. Le marché est en réalité en phase d’adaptation et la stagnation de la consommation est plutôt une bonne nouvelle… et un argument de plus pour la légalisation. Au Canada, le nombre de consommateurs quotidien de cannabis est en effet à peu près le même, avant et après légalisation (6%).