Entre une pandémie dévastatrice, une réouverture des cinémas le 19 mai et un projet de loi audiovisuelle en préparation, le cinéma français traverse une période décisive. Le bon déroulement des événements dans les mois à venir va déterminer la bonne santé de la filière pour au moins plusieurs années.
La nouvelle tant attendue est enfin tombée. Le 19 mai, les cinémas français ouvriront à nouveau leurs portes à 35 % de leur capacité dans un premier temps, puis à 50 % pendant 4 semaines. La reprise est un soulagement pour les acteurs du secteur bien qu’elle apporte elle aussi son lot de problèmes. Un embouteillage inégalé dans l’histoire se prépare en effet dans les salles obscures. Plus de 400 films attendent leur sortie. Cette configuration est inédite.
L’enjeu est donc de taille : écluser un maximum de films en un temps record en resserrant les durées à l’affiche, et cela, en ménageant les recettes de billetterie. Après 6 mois de fermeture, le public sera bien sûr au rendez-vous – les exploitants ne s’inquiètent pas, au contraire – mais la situation est clairement plus délicate pour les distributeurs français. Les films hexagonaux vont faire face à la concurrence féroce des blockbusters américains et internationaux. Et les exploitants, à l’agonie depuis un an, espèrent faire le plus d’entrées possibles en proposant des films populaires.
Les indépendants sur la sellette
Placée sous l’égide du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), la réunion préparant la reprise n’a pas donné lieu au calendrier concerté des sorties tant espéré par les petits distributeurs pour ménager leurs films dans les programmations en salles. Avec son économie déjà fragile, le cinéma indépendant apparaît donc particulièrement menacé. Les conditions actuelles condamnent en fait déjà ses films à un échec relatif. Une situation très préoccupante car elle risque d’engendrer l’hécatombe des petites et moyennes entreprises du cinéma et ainsi appauvrir le paysage de la création en France, levier de son rayonnement à l’international.
Trouver des financements pour de nouveaux films est par ailleurs une opération de plus en plus difficile à mener dans le contexte actuel. Selon le CNC, les investissements en 2020 dans des films d’initiatives françaises ont baissé de près de 30% par rapport à 2019. Les potentialités de revenus futurs apparaissent dès lors très incertaines. Cependant, le pire a semble-t-il été évité par rapport à d’autres pays. En 2020, au coeur de la crise sanitaire, la mise en place d’un fonds de 100 millions d’euros pour assurer et indemniser les tournages français a limité les dégâts.
Cinéma français versus les géants du streaming
La reprise des négociations sur une nouvelle loi audiovisuel pourrait par ailleurs éclaircir le tableau. Si en 2019, le cinéma français se portait bien avec 40% des entrées, le confinement a accéléré la progression du visionnage de films sur les plateformes en ligne (Amazon Prime, Netflix….). Le décret SMAD (pour «services de médias audiovisuels à la demande») prévoit justement de rééquilibrer le jeu en obligeant les géants du streaming à financer la production audiovisuelle française à hauteur de 20% à 25% de leurs revenus sur le territoire.
En échange de cette contribution financière, les plateformes pourrait cependant obtenir des « droits monde » de films français et avoir ainsi la possibilité de les exploiter comme elles l’entendent à l’international. Un assouplissement du régime de la chronologie des médias est également prévu et inquiète tout autant les professionnels. Aujourd’hui, les plateformes doivent en effet attendre 36 mois pour diffuser un film avant sa sortie en salles. Cette durée pourrait être raccourcie à 12 mois. Cet arrangement affaiblierait massivement les recettes d’exploitation, d’autant plus que les plateformes pourraient également contourner les quotas d’investissements dans le cinéma français en créant des filiales sur le territoire. Les producteurs perdraient peu à peu leur pouvoir de décision… Les négociations en cours et à venir sont donc plus que cruciales.