Irak : le défi de la diversification

Irak : le défi de la diversification

C’est l’un des plus grands défis qui attend l’Irak. Depuis l’entrée en fonction du nouveau gouvernement en mai dernier, la diversification économique du pays s’affirme comme l’une des priorités les plus impérieuses du Premier ministre Moustafa al-Kazimi. Dans un contexte marqué par la forte volatilité des cours du pétrole, attirer des investissements étrangers relève de la « mission impossible », tant la corruption mine la confiance des groupes étrangers.

Sortir de la manne pétrolière

En juin dernier, Ali Allawi, ministre des Finances, s’était donné « un an » pour mettre en œuvre des réformes économiques d’ampleur, sous peine de « chocs irréversibles » pour l’économie irakienne, déjà exsangue et fragilisée par la pandémie et des années de guerre, dont elle n’a pas encore pu se relever. Un discours tenu dans un contexte anxiogène, en pleine épidémie de Covid-19 et sous la pression de fonctionnaires, qui ne savaient pas encore s’ils pourraient être payés. En 2019, un tiers de la population adulte bénéficiait d’un salaire de la fonction publique, dont une grande partie d’emplois fictifs, accordés à des membres de tribus ou groupes religieux pour acheter la paix sociale.

Sortir l’économie irakienne de sa dépendance à la demande internationale de pétrole brut est rapidement apparu comme la première urgence, alors même que le pays rassemble 10 % des réserves mondiales de pétrole. Dans le contexte de la crise de la Covid-19, la chute de la demande liée à la paralysie des déplacements a très fortement frappé l’économie irakienne. Aujourd’hui,143,1 milliards barils de pétrole et 3 200 milliards m2 de gaz naturel tiennent l’économie irakienne à bout de bras. Mais, « on ne peut pas diriger un pays seulement en espérant que les prix du pétrole montent assez pour couvrir les dépenses » affirme un spécialiste irakien du secteur au magazine L’Express.

Les derniers chiffres du FMI témoignent de la dépendance de l’économie irakienne au pétrole brut. Selon l’organisation internationale, il compte pour 70 % du PIB, ainsi que 90 % des exportations irakiennes et des revenus publics. Si l’Irak connaît une croissance soutenue, d’environ 4,5 % par an, elle est largement liée à la tente pétrolière. Mais la prédation des élites économiques sur la fortune et la corruption empêche toute forme de redistribution dans le pays. Pour les experts, la diversification de l’économie irakienne relève de la survie. « L’Irak doit se concentrer sur le développement d’une économie moins dépendante de la production de pétrole » explique, pour le magazine 20minutes, Ayham Kamel, directeur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’Eurasia Group Consultancy.

Des IDE en chute libre en Irak

La corruption est, d’ailleurs, le principal facteur bloquant au développement des investissements étrangers. À l’indice de perception de la corruption, l’Irak est classé à la 160e position, avec quelques progrès à signaler ces dernières années. Le pays est aussi classé à la 172e place de l’indice de faire des affaires, dressé chaque année par la Banque mondiale. Un véritable désaveu pour le pays, où les investisseurs fuient face à l’imposante bureaucratie, l’insécurité chronique et la prédation des milices et groupes religieux. Une enquête du journal d’investigation Mediapart, publiée il y’a un mois, a pointé du doigt le poids des milices tribales dans le phénomène de corruption systémique, entraînant un phénomène de « cartellisation » dramatique du pays.

Le rapport annuel sur l’investissement de la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) témoigne du départ des investissements directs (IDE) à l’étranger, symptomatique de la fuite des capitaux internationaux, pourtant fondamentaux dans le développement économique du pays. De -4,8 milliards en 2018, les IDE irakiens sont très légèrement remontés à -3 milliards en 2019, tout en restant négatifs. « La corruption, les infrastructures obsolètes, le manque de main-d’œuvre qualifiée et les lois commerciales dépassées sont autant de facteurs qui entravent l’investissement et continuent de contraindre la croissance des secteurs privés non-pétroliers », explique la CNUCED.

La triste mémoire de l’affaire Korek

Si le secteur pétrolier, très stratégique, est relativement épargné par la chute des investissements directs à l’étranger, les autres, en revanche, souffrent du désamour croissant des groupes internationaux. Car l’affaire Korek est restée dans les mémoires. En 2011, l’investissement pourtant porteur du français Orange et du Koweïtien Agility dans le principal opérateur téléphonique irakien tourne au cauchemar. A peine 3 ans après, les deux groupes sont expropriés de leur participation dans Korek par le régulateur irakien des télécoms, la Communications and Media Commission (CMC), et leurs parts gratuitement « rendues » aux anciens actionnaires, dont l’un des membres les plus influents de la famille Barzani, qui dirige le Kurdistan irakien. Les enquêtes menées par le Financial Times prouveront plus tard que des cadres de la CMC ont bénéficié d’avantages en nature, dont une maison à Londres, juste avant qu’ils rendent leur décision. Après avoir épuisé les recours nationaux, sans succès, Agility, puis Orange, se sont tournés vers les tribunaux internationaux qui ont donné raison à… l’État irakien, sans même juger les faits de corruption. Pour Agility, la décision du tribunal, dirigé par Cavinder Bull, installé dans le cadre de la Convention sur le règlement des litiges en matière d’investissements (CIRDI), rendue en février dernier, a fait l’effet d’une douche froide.

Face à la corruption, la rue irakienne s’est massivement mobilisée dans un vaste mouvement dénonciation réprimé dans le sang. En octobre 2019, des centaines de milliers d’entre eux sont descendus pour occuper l’espace public pour réclamer des mesures puissantes contre la corruption. Sous la pression de l’opinion, un tribunal pénal central pour juger les affaires de corruption des grandes personnalités a été installé en octobre 2019. En janvier 2021, 46 affaires de corruption avaient été jugées dans le secteur de l’électricité.

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