La commercialisation de vols suborbitaux devient peu à peu une réalité. L’espace n’est plus un bien commun, il se privatise.
Le jour où les vols spatiaux de routine seront monnaie courante ne relève plus de la science-fiction. Les voyages dans l’espace ne seront bientôt plus le privilège des professionnels d’agences spatiales, mais bientôt accessibles aux particuliers.
Le fondateur et président d’Amazon, Jeff Bezos, faisait récemment parler de lui en effectuant en neuf jours une brève visite dans l’espace suborbital grâce à sa société Blue Origin. Quelques semaines plus tôt, une autre milliardaire, Richard Branson, s’offrait une escapade similaire à la frontière de l’espace avec sa propre entreprise de fusée, Virgin Galactic, fondée en 2004.
Ces vols marquent une nouvelle étape dans la privatisation et la monétisation de l’espace. Ce qui était autrefois le domaine des gouvernements devient de plus en plus un terrain de jeu et un marché pour la Big Tech et les plus grandes fortunes du monde. Les accords signés en avril et ce mois-ci entre SpaceX et la National Aeronautics and Space Administration en témoignent. La société d’Elon Musk sera chargée d’emmener des astronautes sur la Lune (une première depuis 1972). Et son lanceur Falcon Heavy participera à la mission d’exploration profonde vers la lune glacée de Jupiter, Europe. Les montants respectifs de ces contrats ? 2,9 milliards et 178 millions de dollars.
L’espace, « nouvelle frontière »
Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, a clairement indiqué après son vol spatial que sa société était ouverte à la commercialisation de vols habités. Une ambition clairement affichée également par son rival Virgin Galactic, qui travaille depuis déjà plusieurs décennies à la concrétisation de cette ambition.
Pour les sociétés spatiales, le tourisme spatial apparaît de plus en plus comme un secteur d’avenir. Malgré des prix faramineux, la demande est et sera au rendez-vous. Blue Origin n’a pas encore annoncé ses tarifs mais la société de M. Branson prévoit d’offrir des billets à 200 000 euros. Bryce Space and Technology, une société de conseil en aérospatiale, estime qu’une centaine de personnes par an serait prête à débourser cette somme.
L’avion spatial SpaceShipTwo de Virgin Galactic, avait remporté en 2004 le prix Ansari X en devenant le premier vaisseau spatial réutilisable avec équipage et construit par une organisation non gouvernementale. Après des années de promesses non tenues, la société américaine – qui avait prédit une commercialisation de vols d’ici 2007 – pourrait commencer à vendre ses premiers tickets l’année prochaine, si ces prochains vols d’essai sont un succès.
L’industrie spatiale, en plein essor
La nature des vols commerciaux envisagés n’a cependant rien à voir avec celle des agences spatiales. Le vol de Branson, d’une durée d’un peu plus d’une heure, consiste à envoyer un vaisseau à 90kms d’altitude, à le laisser flotter quelques minutes en apesanteur puis à redescendre. La compétition s’intensifie donc entre les sociétés du secteur, afin de proposer de meilleures expériences au meilleur prix possible. Blue Origin et Virgin Galactic ne sont pas les seules concernées.
La commercialisation de l’espace n’a pas pour seul objectif d’envoyer les super-riches en excursions spatiales ou de démocratiser à très long terme une forme de tourisme spatiale. Surtout, elle transforme ce secteur ô combien dépensier en industrie autosuffisante et indépendante des gouvernements. Une configuration qui ouvre de nouvelles opportunités pour une armada de start-ups, œuvrant par exemple dans la communication satellite ou encore l’approvisionnement d’énergie.
Le progrès technologique spatial suscite un vif intérêt chez les investisseurs, ces derniers injectant des sommes considérables dans le développement d’un nouvel écosystème industriel spatial. Selon la société de conseil spatial Bryce Space and Technology, l’investissement a atteint les 7 milliards de dollars dans le financement de start-ups spatiales en 2020. Ce chiffre a doublé en deux ans.
Une nouvelle ère spatiale
West Griffin, le directeur financier d’Axiom, une start-up visant à construire la première station spatiale commerciale, confiait au New York Times son enthousiasme : « Si vous regardez où en est l’espace aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne les activités suborbitales, cela ressemble vraiment aux premiers jours d’Internet ».
En février, sa société levait près 130 millions de dollars tandis que la start-up Astra, visant à faciliter les voyages dans l’espace en proposant des lancements plus petits et plus fréquents, entrait au Nasdaq grâce à une fusion. Les investisseurs, les fondateurs et les analystes s’attendent à ce que l’industrie spatiale poursuive sur sa lancée. La banque d’affaires Morgan Stanley estime que l’espace représentera une industrie de 1000 milliards de dollars d’ici 2040, contre 350 en 2020.