Lundi 30 mai, Bruxelles a enfin décidé d’exclure la banque russe Sberbank du réseau Swift. Prendre des sanctions contre cet établissement à l’importance toute particulière était inévitable, bien que leur portée soit discutable.
Une banque pas comme les autres
Sberbank a une place à part dans le paysage russe, tant historiquement que financièrement. « Il n’y a pas vraiment d’équivalent, dans un autre pays, de banque aussi dominante », résume Nicolas Véron, économiste au Peterson Institute for International Economics de Washington, et cofondateur du centre de réflexion européen Bruegel.
Héritière directe de la banque qui détenait l’ensemble des dépôts des particuliers durant la période soviétique, Sberbank est née avec 100 millions de clients et 16 000 agences dans toute la Russie. « Elle était et reste la banque des babouchkas », illustre Sergey Popov, spécialiste de l’économie russe à l’université de Cardiff.
De par son histoire, Sberbank gère aujourd’hui « près d’un tiers de tous les actifs détenus par des banques en Russie », explique Tyler Kustra, spécialiste de l’efficacité des sanctions économiques à l’université de Birmingham. De plus, l’actionnaire principal de Sberbank n’st autre que la Banque centrale de la Fédération de Russie. Or, « il n’y a pas d’autre pays au monde où la banque centrale détient effectivement l’une des plus importantes banques commerciales du pays. C’est non seulement un conflit d’intérêts, mais aussi une situation qui permet à Sberbank de jouer un rôle dans la politique économique et monétaire du pays », souligne Lajos Bokros, ex-ministre des Finances hongrois.
Exclusion inévitable
En s’attaquant à Sberbank, Bruxelles s’en prend donc à un géant de la finance russe, mais l’UE avait elle vraiment d’autres choix ? Non, d’après Nicolas Véron, qui estime que « le régime de sanctions de l’Union européenne restait peu crédible tant que Sberbank n’y était pas inclus ».
En effet, l’arme que représente Swift pour les occidentaux n’est vraiment efficace que « s’il n’y a pas de trou dans le dispositif, car sinon, les clients d’une banque exclue du dispositif n’ont qu’à ouvrir un compte dans un autre établissement toujours intégré au réseau Swift », rappelle Tyler Kustra.
Mais alors, si l’exclusion était de Sberbank inévitable, pourquoi n’intervient-elle que maintenant ? Cela s’explique surtout par l’importance économique de la banque. « Il est probable que Bruxelles a attendu le plus longtemps possible pour permettre à des exportateurs européens de continuer à faire des affaires avec des clients en Russie qui ont des comptes chez Sberbank », explique Nicolas Véron.
Sanctions limitées
Toutefois, bien qu’inévitable, l’exclusion de Swift devrait avoir une portée limitée. « A ce stade, il n’y a de toute façon plus vraiment d’entreprises russes qui font de l’export ou de l’import. Et couper Sberbank du réseau Swift ne fera pas beaucoup de mal aux citoyens russes qui ont leur compte courant dans cette banque puisqu’ils n’ont pas vraiment besoin de faire des transactions internationales », rappelle Sergey Popov.
Il y aura « probablement des centaines de petits exportateurs qui vont être affectés parce qu’il est trop compliqué pour eux de trouver des alternatives », mais les grands groupes trouveront toujours des moyens de contourner cette sanction, abonde Nicolas Véron.
Sberbank s’est d’ailleurs elle-même montrée rassurante quant à son exclusion du réseau. « Nous travaillons normalement, les principales restrictions sont déjà en vigueur », a fait savoir la banque dans un communiqué. « L’exclusion de Swift ne change rien à la situation pour les règlements internationaux », a-t-elle ensuite assuré, avant de rappeler que « les opérations internes à la Russie ne dépendent, elles, pas de Swift, et seront réalisées par la banque normalement ».